Chapitre 4
Des insultes en coréen, une lourde porte qui claque. Il part sans se retourner, sans écouter les cris qui le rappellent. Il marche vite dans la rue, avec ses longues jambes d’adolescent. Il ne fait attention à rien, concentré sur sa colère.
Jusqu’à ce que son portable sonne… Pour une bien triste nouvelle.
« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHH !!!!!!!!!!!!! »
« Alors, c’est donc ça ton pire souvenir ? Eh eh eh ! Comment vas-tu supporter de le voir encore et encore et encore ? »
*****
La mission avait été éprouvante pour chacun d’entre eux, c’est pourquoi Maldwyn laissa Hyun dormir dans la voiture quand ils rentrèrent. Il était habitué à le soulever de la voiture à leur appart et à le déposer soit dans la chambre du coréen, soit dans le canapé, selon le niveau de sa propre fatigue. Ce jour là, ce fut le canapé et il s’affala sur le fauteuil en face.
Hyun grognait dans son sommeil ; il devait sûrement faire un cauchemar. Cela lui arrivait parfois et les seules fois où Maldwyn avait essayé de l’apaiser s'étaient soldées par des hurlements et des coups. Il avait donc décidé de le laisser cauchemarder en paix, cela lui évitait de se balader avec des bleus pendant une semaine ensuite.
L’Américain s’installa sur le bord du fauteuil et observa Hyun d’un œil fatigué. Son coéquipier rêvait-il de leur mission ?
Il était vrai qu’il y avait de quoi en faire des cauchemars, oui…
*****
La maison n’était pas différente de celles l’entourant. Si l’on excluait le jardin ayant connu des jours meilleurs, ainsi que les rubans jaunes scellant la porte d’entrée.
« Je l’aime déjà pas, cette mission. » Râla Maldwyn en devant enjamber un tas de ronces pour pouvoir accéder à la cour arrière.
« Ta gueule et avance. » Marmonna Hyun en réplique.
« Merci de ton conseil, je vais le prendre en considération dès que j’aurais réussi à traverser cette saloperie de buisson sans y perdre une jambe. »
« T’es vraiment trop nul, laisse-moi faire. »
Et sans aucune pitié, le Coréen poussa son coéquipier pour le faire passer plus vite. Ceci résulta en un joli roulé-boulé du borgne qui resta à terre le temps d’enlever toutes les épines qui s’étaient plantées dans son corps.
« Hyun, je vais te massacrer ! Dès que je pourrais me lever sans hurler… »
Il enleva une dernière épine de sa cuisse et se redressa en position assise en grimaçant, juste à temps pour voir Hyun traverser le buisson sans se soucier des ronces qui semblaient pourtant bien le planter. Le Coréen se dressa devant lui et lui lança un regard noir.
« Alors, tu bouges ton cul ? Plus vite on commencera, plus vite ça sera fini. » Grogna-t-il en lui donnant un coup de pied pour qu’il se dépêche.
« Tu sais quoi ? Je me demande de plus en plus souvent si t’es vraiment humain… » Répondit Maldwyn en repoussant le pied d’un air habitué.
« Je suis aussi humain que t’es con, ça veut dire beaucoup. »
« Ahah, très drôle… » Fit-il d’un air sarcastique en se relevant enfin.
L’Américain regarda l’arrière de la maison et soupira une nouvelle fois. Il ne voulait pas participer à cette mission, les fantômes, c’était pas son truc. C’était celui de Tristent, pas le sien, vraiment. Il avait quelques notions mais bon, il ne connaissait que les bases, apprises grâce à quelques anciennes connaissances. Et Hyun était encore moins compétent que lui dans ce cas.
Mais le Grand Chef en avait décidé ainsi et lui avait dit que ça suffirait. Papy avait même précisé que le niveau de possession de l’habitation était assez faible pour que Maldwyn s’en occupe. Usagi, qui avait participé à la première mission de découverte de la maison lui avait dit que lui-même n’avait rien vu de particulier, si ce n’était une impression étrange et quelques meubles volant à travers la pièce ; rien de très dangereux. Tristent lui avait également donné quelques conseils par mail mais ça ne l’avait pas rassuré le moins du monde. Le message était écrit à peu près en ces mots : « Don’t worry Big Bro’ ! Si t’as pas peur, ils auront pas peur non plus ! »
Il n’était pas vraiment sûr de ce qu’elle avait voulu dire par là et ne tenait pas tant que ça à le savoir. Tristent était des plus mystérieuses parfois, sans même le vouloir.
« Alors, t’attends quoi ? Le dégel ?! »
Hyun s’était déjà avancé jusqu’à la porte arrière et semblait prêt à l’ouvrir, l’attendant uniquement par habitude. Le Coréen était connu pour son caractère vif et intransigeant, ce n’était pas quelques fantômes qui l’effrayaient… Au contraire, Maldwyn pouvait presque sentir son empressement à l’idée de les détruire.
« J’arrive, j’arrive. »
Il prit quand même le temps de se mettre un masque sur la bouche ; il ne connaissait pas l’état de l’intérieur de la maison mais il ne voulait pas risquer une crise à cause de la poussière, ça ferait tâche au beau milieu d’une mission. Il examina ensuite la porte d’un œil circonspect mais Hyun n’eut aucun mal à l’ouvrir ; Usagi l’avait déverrouillée lors de son précédent passage.
Ils entrèrent doucement dans la maison, tombant sur une cuisine qui aurait été des plus agréables à vivre si ce n’était la couche de poussière qui s’y était installée. Maldwyn fit de son mieux pour retenir une attaque de toux, essayant de se persuader que ce n’était que psychologique. Il toussa quand même deux, trois fois avant d’essayer de se focaliser sur autre chose que les nuages de poussière qu’ils soulevaient à chacun de leurs mouvements.
Les traces de pas de l’autre borgne de l’agence étaient encore légèrement visibles dans la couche grise qui recouvrait le sol mais Hyun n’y fit pas attention, il était déjà bien trop occupé à surveiller devant lui, une arme à la main, prêt à tirer sur le premier événement surnaturel venu.
Maldwyn soupira ; son coéquipier aurait du savoir à force que les fantômes étaient immatériels et que les balles ne leur faisaient rien mais c’était plus fort que lui. Hyun se reposait autant sur ses armes que Maldwyn se reposait sur l’humour pour ne pas craquer.
Maldwyn le suivit lentement, le regard plus concentré sur les détails du décor que sur l’action – il faisait confiance à Hyun pour s’occuper de ça, à la recherche d’indices sur ce qu’ils pourraient faire pour apaiser ces esprits.
Ils traversèrent la cuisine sans encombre – à part le fait de se sentir parfaitement ridicule à prendre autant de précautions dans une maison vide, et arrivèrent dans un salon.
Rien à signaler ici non plus, ils en firent donc rapidement le tour jusqu’à ce qu’une chaise ne se mette à trembler. Le premier réflexe de Hyun fut, bien entendu, de tirer sur ce qui bougeait, ce qui résulta en l’explosion pure et simple du dossier de la chaise qui continua à trembler comme si de rien n’était.
Une injure en coréen suivie de nouveaux tirs et la chaise n’eut plus rien à trembler.
Maldwyn ne fit pas un commentaire sur les manières de faire de son coéquipier, il le connaissait bien trop pour ça – même si ce n’était pas l’envie qui lui en manquait, et se concentra sur les paroles consacrées à l’exorcisme. Il avait du enlever son masque pour être sûr de bien prononcer et devait ignorer la sensation de picotement qui lui titillait les narines. Il maudit mentalement la personne qui les lui avait apprises, sans ça, il n’aurait jamais été assigné à ce genre de mission.
Hyun semblait sur le qui-vive, prêt à tirer sur tout ce qui pourrait encore bouger, ce qui ne manqua pas quand le chandelier posé au milieu de la petite table commença à se soulever légèrement. Les balles ricochèrent sur le métal solide mais ne les touchèrent heureusement pas. Ce fut une chance pour Maldwyn qui pouvait à présent localiser au mieux l’esprit sans le voir et se concentrer assez pour l’exorciser.
Quand il prononça le dernier mot de la prière, ils entendirent clairement un hurlement, de douleur ou de rage, ils ne surent pas trop, mais la présence avait ensuite disparu, sûrement envolée vers de meilleurs cieux.
« Ouf… » S’autorisa l’Américain en se sentant subitement plus léger, ce qui fut rapidement suivit d’un éternuement.
Hyun lui lança un regard en coin, indéchiffrable, avant de reprendre son chemin vers le reste de la maison. Maldwyn prit le temps de se moucher et de remettre son masque avant de le suivre. Il y avait quatre ou cinq esprits dans l’habitation selon le Vieux. Le Papy n’en était pas sûr, les dossiers ne se correspondaient pas tous. Maldwyn avait tendance à croire que les missions les moins bien préparées étaient toujours bizarrement pour leur poire. Il ne voulait pas croire que Papy le faisait exprès mais il avait de plus en plus de mal à penser ainsi quand il pensait aux séries de merdes qui leur arrivaient le plus souvent.
Il rejoignit Hyun dans ce qui se révéla être la salle à manger et ne fut pas étonné de le voir tirer sur un vase qui se précipitait vers eux. La porcelaine fragile vola bien entendu en éclats qui se fichèrent un peu partout – mais heureusement pas sur eux.
Maldwyn fronça des sourcils ; Usagi ne leur avait pas parlé d’autant de violence… Mais le connaissant, il avait peut-être minimisé les faits. Et son sacro-saint sourire rendait toujours tout beaucoup moins important que ça ne l’était vraiment. Maldwyn jura contre lui-même et se promit de ne plus se faire prendre au jeu la prochaine fois et de demander des détails concrets sur les missions à venir.
Il resta à nouveau un peu en arrière et essaya de se concentrer sur l’endroit où il pensait que le nouvel esprit se trouvait. Hyun se battait toujours contre la présence invisible, ce qui ressemblait plus à un jeu de tir sur tous les objets volants dans la pièce. Une assiette arriva subitement depuis l’armoire à vaisselle révélant la présence d’un autre esprit, ou signalant que celui-ci était assez puissant pour ça… Ce qui n’était pas bon signe dans un cas comme dans l’autre.
Maldwyn l’évita de justesse et se déplaça pour se mettre dos à un mur, de façon à voir tout l’intérieur de la pièce et pouvoir se concentrer sans craindre une attaque par derrière. Exorciser ainsi un esprit était ce qu’il détestait le plus dans ce métier. C’était long et ça demandait beaucoup de concentration – la moindre erreur dans un seul mot et tout était à recommencer… si quelque chose de pire n’arrivait pas à cause du sort corrompu.
Donc il ferma les yeux et murmura les mots nécessaires. Il préférait le faire discrètement, loin des bravades et des cris que l’on pouvait parfois voir dans certains films ou shows télés. Tant qu’ils étaient prononcés, les mots avaient la même force. Bien entendu, la volonté de l’exorciste comptait énormément et crier pouvait parfois aider à la faire ressortir mais Maldwyn n’en avait pas besoin. Il croyait au pouvoir des mots, il croyait au pouvoir des formules. Mais il ne croyait pas à son propre pouvoir. Il n’arrivait pas à voir les fantômes, il pouvait à peine les sentir, il n’avait pas de pouvoirs spéciaux… Peu importait ce que le Vieux pensait, peu importait ce que quiconque pensait : les formules ne marchaient que parce qu’elles étaient faites pour marcher. Même si Hyun les lisait, ça marcherait.
Mais pourtant, il ne les avait jamais apprises à son coéquipier. Pas qu’il n’avait pas confiance en Hyun… mais ça ne lui semblait pas nécessaire. Et qui savait ce que le Coréen en ferait vu son animosité envers tout ce qui n’était pas naturel.
La prière ne fut pas longue à prononcer, ses mains jointes pendant celle-ci se séparèrent et visèrent les lieux où devaient se trouver les esprits. Deux cris joints s’élevèrent soudain ; la mélancolie les imprégnant frappa Maldwyn par sa force et il en eut les larmes aux yeux sans qu’il ne puisse rien y faire. Il essuya rapidement son œil valide, ne tenant pas à avoir la vision troublée au cas où un autre esprit interviendrait – et pour ne pas que Hyun le voie dans cet état, il pouvait déjà imaginer son ton sarcastique et ses paroles acerbes.
Et il n’eut pas qu’à les imaginer : la voix de son coéquipier s’éleva alors dans toute sa causticité.
« Ca en fait trois de plombés, il en reste combien encore de ces saloperies ? »
« D’après le dossier, c’était une famille de quatre ou cinq, il ne devrait en rester qu’un ou deux, je crois. »
« Tant mieux, ça me gave comme mission. »
Maldwyn parvint quand même à sourire face à la désinvolture de son collègue et il se redressa pour s’avancer vers les autres pièces de la maison. Ils visitèrent entre autre un salon, une salle de bain et un grand placard sans rien rencontrer d’autre.
« Et bien, ça doit être quelque part en haut alors. »
« Si y’en a pas d’autres, je claque le Vieux pour ses informations encore une fois bidons. »
« Si tu fais ça, je veux être là pour pouvoir parier sur lui. » Répliqua Maldwyn en se foutant de sa gueule, jusqu’à ce que Hyun lui file un coup de pied stratégiquement placé dans le mollet.
« Je pense que je te vais d’abord m’en prendre à toi alors. »
« Comme si j’allais te laisser faire ! »
Il répliqua d’une claque derrière le crâne du Coréen et fuit rapidement vers l’escalier dont il grimpa les marches deux par deux. Une fois à l’étage, il sut immédiatement qu’il y avait bien un esprit ici. L’air était plus lourd et sa respiration fut coupée comme si on lui avait mis un coup de poing dans le ventre. Il se plia sur lui-même et observa autour de lui.
Rien ne bougeait mais il pouvait presque voir l’air se déplacer. Sans qu’un objet ne soit mis en lévitation, il pouvait sentir la présence de quelque chose et savoir exactement où elle se trouvait. Il s’avança, toujours courbé, mais évita de s’approcher. Il essaya de se concentrer et parut réussir à distinguer une forme humaine qui marchait lentement dans le couloir de l’étage. Il courut jusqu’à la porte la plus proche de lui et entra dans ce qui sembla être une chambre.
La force le frappa de nouveau de plein fouet et il tomba à genou au sol, se recroquevillant sur lui-même. Se tenant l’abdomen, il alla se réfugier derrière le lit, même s’il savait parfaitement que ça ne servirait à rien. Mais cela fut assez utile de manière psychologique pour qu’il se mette à incanter plus facilement la prière d’exorcisme. Il ferma l’œil pour mieux se concentrer juste sur son ‘sixième sens’ – même s’il n’en pensait pas forcément du bien en temps normal – et être prêt à relâcher son énergie sur le dernier esprit. Il fut surpris par le lit qui se déplaça vers lui et le força à se redresser. Il échappa de justesse à l’écrasement et eut du mal à garder son sort en main. Dos au mur, il baissa le visage et ferma à nouveau l’œil pour se concentrer.
Subitement, il le vit. Là dans le noir, une large silhouette s’avançait lentement vers lui. Il n’eut alors aucune hésitation ; il relâcha l’énergie concentrée et frappa de plein fouet la puissante présence en plein dans la poitrine. Elle ne disparut pas entièrement, il renouvela alors ses prières pour la frapper à nouveau, et encore et encore – malgré le hurlement qu’il ressentait, qui vibrait jusqu’au plus profond de ses os.
Quand il n’en resta plus rien, il s’avança jusqu’à la cage d’escalier, les yeux toujours fermés et stoppa net dans l’encadrement de la porte. Il y en avait encore un. Plus faible mais pouvant être tout aussi dangereux si on le laissait faire. Il n’hésita pas et libéra le pouvoir habitant ses mains pour le lancer sur le dernier esprit. Un nouvel hurlement naquit, qui le surprit au plus au point. Il rouvrit l’œil pour apercevoir le corps de son coéquipier recroquevillé à l’endroit où il venait de frapper.
« Hyun ! »
Il hurla de peur, écho de la douleur que Hyun extériorisait dans sa voix. Maldwyn crut également entendre une autre voix jointe aux leurs mais il ne sut s’il avait raison ; un nouveau coup vint le balancer à nouveau contre le mur et il glissa lentement le long de celui-ci, les yeux fermés, espérant berner visuellement son agresseur invisible. Il murmura à nouveau les mots nécessaires, à peine un souffle coulant hors de ses lèvres. La prière terminée fit renaître le pouvoir en ses mains et il n’eut qu’à viser l’endroit où il sentait encore la présence maudite, juste au dessus du corps meurtri de son collègue.
Un nouveau cri, plus effroyable que tous les autres, s’éleva de la forme devenant presque visible par sa douleur violente. Maldwyn croyait au pouvoir des mots, c’est pourquoi il les répéta, encore et encore, jusqu’à ce qu’il pense être sûr que leur agresseur n’était plus.
Il s’avança alors à quatre pattes vers le corps de Hyun et posa une main sur son épaule. Celui-ci eut un mouvement de recul mais ce simple effort sembla de trop pour lui et il s’affaissa subitement au milieu des marches, corps devenu flasque comme la mort.
Affolé, Maldwyn se redressa douloureusement vite pour pouvoir le redresser et fut on ne peut plus rassuré de sentir Hyun respirer lentement. Il le tint contre lui un moment, comme une mère berçant son enfant, et se remit lentement debout, son coéquipier toujours dans ses bras.
« Il n’y a bien que dans ce genre de cas que j’suis heureux qu’tu sois si maigre… » Marmonna-t-il à l’encontre du Coréen dans ses bras. « Allez, on rentre… »
Il sortit de la maison par la porte principale, se moquant bien de rompre les scellés et emporta son coéquipier jusqu’à la voiture où il le déposa doucement sur le siège passager. Il conduisit vite mais prudemment jusqu’à la société et reprit son collègue dans les bras pour l’emmener jusqu’au ‘bureau’ d’Attis.
Scène étrange, le médecin légiste avait le nez plongé devant un écran d’ordinateur, ce qui éclairait son visage d’une manière particulière que Maldwyn trouva des plus effrayantes. Mais il s’approcha quand même, ignora les grognements d’Attis et déposa Hyun sur une des tables.
Il y avait quelque chose d’encore plus effrayant à voir Hyun allongé, si pâle, sur une des tables d’autopsie ; il semblait bien mort malgré le fait que l’on puisse quand même voir sa poitrine se soulever doucement pour respirer. Serrant les poings, Maldwyn expliqua ce qu’il s’était passé au doc’ qui lui répliqua qu’il travaillait sur les morts, pas sur les presque vivants, encore moins quand il y avait des histoires de magie associée. Mais bien qu’il continuât à râler, Attis examina rapidement le Coréen et ne trouva rien qui clochait.
« Laisse-le dormir, son organisme arrivera bien à s’en remettre, il a déjà vécu pire. »
Pas très convaincu par ce diagnostique, Maldwyn se décida quand même à revenir chez eux et déposa Hyun dans le canapé…
*****
Voilà donc où ils en étaient quand Maldwyn l’observait silencieusement depuis son fauteuil. Il sortit son paquet de cigarettes de sa poche et alluma un de ses tubes de nicotine qu’il fuma de manière se voulant décontractée, se disant que tout se passerait bien et que Hyun était juste fatigué.
Voyant qu’il n’y avait pas d’amélioration chez son collègue, l’Américain se leva brusquement et se dirigea vers leur bar. Il en sortit un verre et une bouteille de whisky et s’en servit une bonne rasade qu’il but cul sec. Il s’en versa un autre et retourna sur son fauteuil.
Les mains crispées autour du verre, il observa le corps fluet de son collègue trembler légèrement sur le canapé. Il prit une nouvelle gorgée qui le fit tousser en passant au mauvais endroit. Plié une nouvelle fois sur lui-même, il essuya les larmes qui lui virent aux yeux et se redressa avec difficulté.
Pour tomber presque nez à nez avec Hyun qui s’était redressé. Maldwyn eut un sursaut en arrière et se leva aussitôt pour se rapprocher du canapé mais Hyun fut plus rapide que lui et le repoussa en grommelant qu’il allait se coucher.
Sur le cul, l’Américain le laissa faire et se mit finalement à sourire. Cet air grognon et cette violence, c’était tout lui.
Hyun n’avait rien de grave.
*****
La lame glissait si facilement sur la peau, faisant naître ces minces filets de sang, luisants sur sa peau si blanche. Il regardait les gouttes écarlates tomber une à une sur le carrelage de la salle de bain, se moquant bien de salir ce qui l’entourait ; il ne serait plus là pour être engueulé pour nettoyer plus tard si tout se passe bien.
Il ne s’attendait pas au coup qui vint le frapper à la mâchoire et fut bien trop faible pour y répondre. S’affalant au sol, il ne put que mollement protester quand quelqu’un le prit dans ses bras pour l’embarquer hors de la salle de bain.
Il perdit connaissance bien avant d’arriver aux urgences.
« Mon pauvre chou, tu as eu si mal que ça de l’avoir perdue ? Il va vraiment falloir que je te le fasse revivre en plus poussé alors ! »
*****
Quand Maldwyn sortit de sa chambre ce matin, l’appartement était bien silencieux, comme d’habitude. Il alla se préparer un bon café, prenant son temps en sachant que Hyun n’émergerait pas tant qu’il n’irait pas le réveiller.
Il manqua cracher sa boisson trop chaude et s’étouffa une nouvelle fois avec quand il vit son collègue passer la porte de leur cuisine, l’air bien réveillé.
« Bah alors, t’es tombé de ton lit ?! » S’exclama-t-il une fois qu’il s’en remit.
Seul un grognement lui répondit et le Coréen s’installa en face de lui et se servit une tasse de café, pour le plus grand étonnement de son coéquipier. Hyun ne buvait jamais de café, du moins, pas sans une bonne raison et sans sucre. Il trouvait ça beaucoup trop amer et grimaçait même quand il voyait Maldwyn avaler son petit serré.
C’est les yeux écarquillés et la bouche entrouverte qu’il observa son ami vider sa tasse d’un coup avant de se lever pour retourner dans sa chambre, accompagnant le claquement de la porte d’un « T’as pas intérêt à m’déranger ! » des plus convaincants.
L’Américain referma sa mâchoire et fronça des sourcils. Hyun s’était réveillé seul, était venu seul dans la cuisine, avait prit tout seul un « café » et était reparti seul dans sa chambre. Quelque chose n’était vraiment pas normal dans tout ça, et ce n’était pas seulement le fait que Hyun prenait juste un verre de thé glacé en guise de petit déjeuner en temps normal.
Maldwyn finit sa tasse et alla la rincer sommairement dans l’évier – ainsi que celle de son colocataire. Il resta un instant, les mains appuyées contre le rebord de l’évier, à regarder un mince filet d’eau se perdre jusqu’à la canalisation. Il finit par prendre une grande inspiration et se redressa d’un coup.
« Ca ira. Si ça se trouve, il a juste fait ça pour m’emmerder pour se venger. »
Il décida donc de ne rien dire de la journée et ferma bien les robinets avant d’essuyer les tasses et de les ranger. Ensuite, il alla frapper à la porte de la chambre de Hyun pour lui passer un message.
« J’vais au QG, oublie pas de manger à midi, y’a des plats tout prêts dans le frigo, t’as juste à te servir. Et oublie pas, si je vois qu’t’as pas mangé, j’t’engraisse ce soir. »
Maldwyn s’éloigna donc de la porte, et alla récupérer sa veste avant de sortir. Il ferma la porte à clefs – plus par habitude que par peur qu’il n’arrive quelque chose à Hyun, et descendit jusqu’au garage pour prendre la voiture.
Tout en conduisant, il ne pouvait empêcher ses doigts de tapoter nerveusement sur le volant.
*****
Une fois arrivé à Phenomena, il monta directement dans le bureau du Patron, fit un petit signe de bonjour à Harmonie mais ignora son avis sur la disponibilité de Noland et entra dans le bureau de celui-ci sans avoir été annoncé.
Il se dirigea aussitôt vers son père adoptif et posa une main à plat sur le grand bureau.
« La prochaine fois, renseigne-toi mieux sur les missions que tu nous donnes ! »
Noland ne lui répondit que d’un haussement de sourcil. Maldwyn lui expliqua alors tout ce qui s’était passé, ainsi que la réaction de Hyun ce matin. Son patron prit un instant de réflexion.
« Va voir Adam pour faire des recherches. Je vais en faire de mon côté aussi. »
« … C’est tout ? Pas d’excuses ni rien ? Pas de solution miracle non plus ? »
Noland ne répondit pas mais son regard en disait long. L’Américain savait très bien que Noland n’était qu’humain, qu’il ne pouvait pas avoir réponse à tout. Mais parfois, il aimerait tant y croire, tant croire encore à cette vision qu’il avait eue quand il était plus jeune…
« On trouvera si quelque chose ne va pas. Je te le promets. »
« Promets-moi aussi de trouver quelqu’un d’autre pour ce genre de mission. C’est pas mon truc. »
« Tu as pourtant réussi à tous les apaiser… »
« Par simple chance ! Et j’ai peut-être dézingué Hyun ! Tu as Tristent pour ça, elle sait comment faire et est douée pour ça ! Pas moi ! »
Noland baissa la tête d’un air sérieux avant de replonger son regard dans celui de son fils adoptif.
« Je ne peux pas te promettre cela, tu le sais bien. »
Le borgne grogna et serra les poings.
« Il y a des jours où je te hais. »
« Je sais. »
Mais le châtain finit par pousser un long soupir, toute son attitude se relaxant brusquement.
« Donc ça veut dire que je vais devoir bosser avec la belette ? »
« Il est le meilleur dans son domaine. »
« Mais ça change pas que c’est un petit con. »
Noland ne répondit rien et Maldwyn soupira à nouveau.
« Okay, okay, j’y vais… Mais je compte quand même sur toi. »
Le brun acquiesça lentement, signe qu’il connaissait très bien les attentes de son fils.
Ce fut légèrement plus rassuré que l’Américain sortit du bureau de son patron. Il fit même un grand sourire à Harmonie avant de prendre à nouveau l’ascenseur pour descendre au deuxième étage.
Il parcourut le couloir les mains dans les poches, la démarche nonchalante, et fut prit au dépourvu quand une boule d’énergie lui sauta sur le dos.
« Mald-niiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! »
Il se retint à un mur pour ne pas s’affaler sous le poids de sa jeune collègue et lui sourit en essayant de la décrocher de lui.
« Tristent, comment ça va aujourd’hui ? »
« Very good ! T’es tout seul ? C’est rare ça ! Hyun est malade ? » Demanda-t-elle dans un flot de paroles continu.
« Hum… Et bien, peut-être, c’est ce que j’aimerai bien savoir. » Répondit-il à voix basse.
« … Agneuh ? »
« Cherche pas, j’te dirai quand je saurais. »
« Okay ! » Répliqua-t-elle, toujours aussi vive. « Où est-ce que tu vas là ? Ton bureau est à l’étage au dessus, non ? »
« J’dois voir la Belette, j’ai des trucs à lui demander. »
« Waaaah ! Ca, c’est encore plus rare ! Tu dois lui demander quoi ? »
« Des trucs… Sur l’exorcisme… »
« Pourquoi tu lui demandes à lui, il y connait rien à tout ça ! C’est quoi ton problème ? »
« Bah, c’est quand même lui qui a le meilleur accès à toutes les informations du monde. »
« Mouais… Mais il y connait quand même rien. Allez, dis-moi ! »
« Dis… A ton avis, si un sort d’exorcisme touche un vivant, il se passe quoi ? »
« Woooh… T’as de ces questions ! C’est pas censé toucher des êtres vivants à l’origine. »
« Ca, je le sais bien. » Répliqua-t-il avec une grimace peu amusée.
Tristent se décolla entièrement pour se placer devant lui et lui pointa son index sur le nez.
« Me dis pas que tu as fait une telle connerie ! »
Maldwyn détourna le regard et lui fit un sourire maladroit en levant les mains d’un air se voulant innocent.
« Je ne te dis rien alors. »
La jeune femme mit un temps avant de comprendre ce qu’il voulait vraiment dire.
« Oh putain… T’as vraiment intérêt à faire des recherches alors ! » S’exclama-t-elle finalement avant de le prendre par le poignet et de le tirer derrière lui. « J’suis sûre qu’Adam pourra t’aider ! »
Maldwyn sourit devant son changement radical d’opinion pourtant si naturel chez elle. Il soupira ensuite en se disant qu’il allait devoir travailler avec le Geek – surtout que c’était peut-être pour rien, mais il fallait bien ça.
Pourtant, il ne pouvait s’empêcher d’imaginer le ricanement de Hyun quand il saurait ce qu’il avait fait si le Coréen jouait vraiment la comédie ce matin.
*****
Le bureau d’Adam était comme toujours plongé dans l’ombre, uniquement éclairé par les deux grands écrans d’ordinateur qui entouraient la petite silhouette de l’informateur. Maldwyn resta un instant à la porte, laissant à son œil le temps de s’habituer à l’obscurité. On entendait juste le bruit des touches du clavier ainsi que les basses légères d’une musique sûrement écoutée trop fort par les gros écouteurs posés sur les oreilles du blond. Maldwyn poussa un long soupir, il ne comprenait pas comment on pouvait vivre ainsi, à travers un ordinateur. Lui-même ne sortait plus autant qu’avant, mais c’était surtout à cause du boulot ; il prenait toujours plaisir à aller boire un coup de temps en temps, même si Hyun râlait à chaque fois quand il l’embarquait avec lui.
Il venait de se persuader de rentrer dans la pièce quand Tristent trouva enfin ce qu’elle semblait chercher contre le mur. Une lumière vive aveugla un petit instant le borgne qui plissa de l’œil. Et bien, maintenant il savait que l’interrupteur se trouvait sur la gauche de la pièce… Il entra enfin, grimaçant sous les insultes qu’Adam attribua à Tristent pour avoir osé le déranger.
« Allez, p’tite belette, gueule pas, on a du boulot pour toi. »
« Ouais, ça te changera de tes jeux ! » Renchérit la jeune fille en s’accrochant à son cou.
Le Français râla encore pour la forme et essaya de décrocher la sangsue de son cou mais elle était si bien installée qu’il finit par la laisser et se tourner vers Maldwyn.
Une nouvelle fois, l’Américain se demanda comment il pouvait bien faire pour voir quelque chose à travers le rideau de cheveux qui lui couvrait le visage. Sa tignasse, qui lui recouvrait déjà les yeux à son arrivée dans la société, lui arrivait à présent en dessous du nez, ce qui ne représentait pas tant que cela, sachant qu'il était employé là depuis plus d'un an. Maldwyn pensa en souriant que c’était sûrement Tristent qui lui coupait les cheveux – à moins qu’il ne lui fasse pas confiance et le fasse lui-même. En même temps, il pouvait très bien être très mal coiffé, on ne le voyait pas vraiment vu la sacro-sainte casquette qui ne quittait jamais son crâne. Voilà peut-être pourquoi il la portait constamment, même à l’intérieur…
« Alors, tu veux quoi ? » Grogna l’informaticien, faisant voler une petite mèche sous son souffle.
« Et bien… »
Maldwyn lui expliqua son problème et même s’il ne les voyait pas, il put sentir le roulement des yeux de la belette sous son rideau de cheveux.
« En gros, tu t’es foutu dans la merde et tu veux que je t’aide à t’en sortir. »
« Eh ! Déjà d’une, je ne sais pas si je suis vraiment dans la merde, et de deux… … … … Ouais, j’veux que tu m’aides au cas où. » Répliqua-t-il d’une grimace désabusée.
En temps normal, un clash avec Adam ne l’aurait pas dérangé, mais là, il se retrouverait bien embêté si l’informaticien refusait de l’aider. Mais il aurait volontiers fait avaler à ce petit idiot le sourire en coin qu’il lui dédiait. Ce n’était pas un gamin de moins de vingt ans qui allait pouvoir se foutre de sa gueule. Même si ce gosse s’y connaissait mille fois plus que lui en informatique…
« Bon, tu me dis ce que tu cherches précisément ? »
La voix d’Adam le coupa dans ses pensées meurtrières envers lui et il lui expliqua en détail ce qu’il aimerait apprendre.
« Okay… Allez vous asseoir tous les deux, j’ai besoin de respirer pour bosser. » Fit-il d’un ton sec, agitant de façon indolente la main vers le canapé qui avait élu domicile on ne savait trop comment dans son bureau.
« Non, je reste là, je veux te regarder faire. »
La tête d’Adam se tourna vivement vers lui et Maldwyn put sentir sans le voir le regard noir de celui-ci.
« Je promets de pas te gêner, je veux juste voir comment tu fais. »
« Tu y comprendras rien. »
« Mais… »
« Nan mais c’est vrai, Maldy ! Perso, moi, j’y comprends absolument rien quand il bosse ! »
« Tristent… »
La jeune femme avait lâché le cou du petit blond et l’avait pris par la main.
« Allez Mald-nii ! On va jouer à la Wii ? Y’a un super jeu de zombies ! »
« Non merci, Princesse, je ne tiens pas à revoir des zombies avant un bon bout de temps. » Lui fit-il en l’ébouriffant avec un sourire mi-écœuré, mi-désolé. « J’aimerais vraiment te voir faire, Be… Adam. Ca m’intrigue. » Fit-il ensuite en se tournant à nouveau vers le Français.
Le blond répondit d’un haussement des épaules, les ignorant déjà alors qu’il commençait à pianoter sur son clavier. Tristent décida alors de rester également et posa ses bras sur les épaules d’Adam sans pour autant les passer autour du cou – ainsi, Adam ne pouvait se plaindre de ne pas pouvoir respirer et elle pouvait rester près de lui sans le gêner. Maldwyn plaignit quand même quelque peu le jeune homme qui devait supporter sa ‘petite sœur’ presque constamment… Mais vu son comportement, il le méritait bien.
L’Américain se concentra donc sur l’écran sur lequel Adam semblait travailler et cligna de l’œil une fois. Deux fois. Trois fois. Tout allait si vite qu’il n’arrivait pas à assimiler les informations qui lui assénaient la rétine. Comment Adam faisait-il pour arriver à trier tout cela aussi vite… ?
Son regard passa de l’écran à Adam, d’Adam à l’écran, et vice et versa, essayant de comprendre si le jeune homme saisissait vraiment tout ce qu’il faisait. Mais vu le nombre de fichiers qui se retrouvaient à part, il semblerait que oui, Adam était capable de classer les informations à cette vitesse. Maldwyn comprit un peu mieux pourquoi le Vieux faisait aussi confiance aux capacités de son informateur.
Maldwyn dut détacher son attention de l’écran, tout cela devenait trop pour son cerveau et menaçait de lui donner un mal de crâne carabiné. Il savait qu’il y avait énormément d’informations sur Internet mais il ne s’attendait pas à autant… Vraiment pas.
Tristent, qui semblait arriver à suivre le rythme d’Adam – ce qui n’étonna pas Maldwyn le moins du monde, se rendit compte qu’il avait relâché son attention et lui fit un énorme sourire.
« Je t’avais bien dit que tu comprendrais rien ! »
Elle se détacha d’Adam et prit à nouveau la main de Maldwyn pour l’amener à nouveau vers le canapé.
« Allez, assis-toi, ça peut prendre encore un moment. » Lui sourit-elle en tapotant le coussin du canapé à côté d’elle.
« D’accord, d’accord… »
Il se laissa tomber et s’enfonça d’au moins vingt centimètres, ce qui le prit par surprise et lui fit produire un petit couinement qui amusa grandement Tristent.
Il grogna en se redressant et se mit à rire à son tour devant son propre ridicule. Et cela lui fit vraiment du bien. Il ne s’était pas rendu compte de la tension qu’il s’était imposée.
Il se relaxa dans le canapé trop mou, continuant à rire doucement et s’arrêta peu à peu, le regard levé vers le plafond. Discrètement, il croisait les doigts, espérant réellement que Hyun n’avait rien et que tout ça n’était vraiment qu’une mauvaise plaisanterie.
Mais au fond de lui-même, il se doutait que quelque chose n’allait pas. La comédie de ce matin aurait demandé beaucoup trop d’effort pour le paresseux qu’était Hyun… Il se mordit la lèvre, entendant à peine le blabla de Tristent à côté de lui, jusqu’à ce qu’elle pose une main sur son épaule qui le fit sursauter.
« Nii-san, ça va, t’es sûr ? »
Il réussit à lui sourire, pâle reflet de sa gaité habituelle qu’elle comprit immédiatement. Elle se tut alors et passa ses bras cette fois-ci autour du cou de celui qu’elle considérait comme son grand frère. Il se laissa faire et accueillit même volontiers cette étreinte, témoignage d’affection plutôt rare entre eux. Ils restèrent un instant ainsi, sans vraiment bouger, juste à se serrer dans les bras, jusqu’à ce que Tristent lui murmure à l’oreille.
« Everything’s gonna be alright, Big bro, I promise. »
Elle lui sourit de nouveau et il réussit à le lui rendre un peu plus facilement.
Un raclement de gorge les sépara mais ils prirent le temps de se sourire avant de se redresser – avec difficulté, du canapé mouvant.
« Tu as fini ? » Demanda-t-il à Adam même si la réponse était évidente vu que le professionnel des ordinateurs n’était plus tourné vers sa machine.
« A ton avis. » Répondit le blond en s’approchant de son imprimante pour en sortir un paquet de copies assez impressionnant. « Tiens. A toi de bosser maintenant. »
« Quoi ? » S’exclama Maldwyn, l’air perdu.
« Mon boulot, c’est de rassembler toutes les informations pertinentes, pas d’en faire le tri. Maintenant, c’est à toi de lire tout ça et de trouver ce que tu cherches. »
« Ah… »
« Allez, maintenant, jartez, j’ai autre chose à faire. »
« Eh ? Mais t’as vu le paquet que c’est ? Tu pouvais pas limiter encore ? »
« Donne-moi un sujet que je connais et je peux te trouver ‘le’ document que tu veux. Là, tu vas devoir te débrouiller avec ça. »
« Mais… »
« Pas de mais, dégagez ! J’ai besoin d’espace ! »
Et sans douceur, Adam poussa Maldwyn vers la sortie. Par contre, Tristent vint s’accrocher à nouveau à lui en insistant pour qu’il la laisse rester et il n’eut qu’un long soupir avant de retourner vers son ordinateur.
« Okay, mais ferme la porte. »
Tristent se fit un plaisir de le faire, après avoir fait un petit bisou sur la joue de son ‘big brother’et lui avoir souhaité ‘good luck!’.
Devant la porte fermée, Maldwyn soupira. Il avait espéré que Tristent l’aide au moins un peu à chercher dans cette pile de paperasse mais il comprenait également qu’elle veuille passer du temps avec Adam… Enfin, il comprenait sans vraiment comprendre.
Elle aurait pu trouver quelqu’un de mieux de qui tomber amoureuse.
Comme lui aurait aussi pu trouver mieux.
*****
Allongé sur le dos sur son lit, Hyun n’avait pas quitté sa chambre depuis le matin. Ses fins yeux noirs étaient grands ouverts, fixés nulle part sur le plafond. Il ne voyait pas la peinture blanche qui comportait quelques craquelures infimes, non, il voyait bien plus que ça, il voyait tout, tout ce que comportait son propre cerveau. Tout ce qu’il voulait cacher…
Le sol était dur sous ses mains, la roche égratignait violemment la peau tendre de ses paumes. Mais tout ça n’était rien. Il s’était occupé de la harpie, elle gisait à présent sur le sol, agonisante, ses derniers râles irritant son ouïe. Il voulait qu’elle se taise, muette à jamais, mais il ne pouvait plus bouger. Ses muscles étaient tétanisés, son esprit était embrouillé. Et ces cris affreux, ces plaintes rauques, n’aidaient en rien ses pensées à s’organiser. Que devait-il faire ? Que pouvait-il faire ?!
Ses doigts tremblants finirent par se mouvoir, allant chercher avec difficulté le portable qui dépassait à moitié de la poche. Il ouvrit, et pria pour ne pas qu’il le lâche comme le faisait normalement tout appareil électrique entre ses mains. L’écran ouvert, il bloqua un long instant devant. Le numéro avait totalement quitté son esprit et il commença à paniquer. S’il ne pouvait pas appeler, il ne pourrait pas le… le… Il retint un sanglot et se rappela soudain du répertoire. Ses doigts cherchèrent les touches avec difficulté mais il y parvint. Et quand la voix si connue lui répondit, il laissa échapper un cri étranglé de larmes retenues. Il parvint à prononcer les mots qu’il souhaitait, après quelques essais infructueux, son interlocuteur étant heureusement doté d’une grande patience. Juste quelques mots, l’essentiel.
Il laissa alors le téléphone encore ouvert tomber près du corps de son collègue dont le visage était couvert de sang. La voix à l’autre bout du fil s’était changée en cris mais il n’y fit plus attention. Il ne pouvait plus déporter son regard du sang. Tout ce sang qui semblait couler à ne plus s’en arrêter.
Et ces griffures, ces trois grandes griffures à l’endroit où aurait du se trouver un œil. Ces trois griffures qui transformaient cette partie du visage en un tas de chair palpitante. Cette blessure sûrement mortelle qui s’étalait sur le visage de Maldwyn…
Ses mains se remirent à trembler quand la réalité le frappa de nouveau de plein fouet. Maldwyn risquait de mourir… De mourir… Il était comme elle… Comme elle… Exactement comme elle…
Et tout était uniquement de sa faute.
« Alors tu y tiens tant que ça à cet homme ? Au point de réagir ainsi ? Ahahahahaha ! Tu es vraiment plein de faiblesses, la proie idéale ! »
*****
Maldwyn hésita un instant. Allait-il se diriger vers son propre bureau ou essayer d’en squatter un autre ? Puis il se rappela qu’il n’avait pas pénétré dans son bureau depuis… woh, longtemps. Ils étaient presque toujours sur le terrain et n’avaient pas beaucoup de paperasses à remplir, ou alors, ils pouvaient le faire chez eux. Il ne voulait même pas imaginer la couche de poussière qui avait du s’y déposer… S’il y allait maintenant, il passerait sûrement le reste de la journée à ranger et nettoyer toute la pièce. Il retint donc son instinct qui lui demandait d’y courir immédiatement et se dirigea plutôt vers les bureaux d’Usagi et Artémis, les deux seuls du bâtiment où il pourrait fumer en travaillant.
Il ouvrit la porte du premier, mit un pied dedans, stoppa, fit un pas en arrière et la referma aussitôt. Il jura entre ses dents, ce n’était pas vraiment le jour pour tomber sur ce genre de scène.
Il maudissait encore ses collègues pour leur manque de pudeur quand il ouvrit la porte de l’autre bureau, forcément vide vu la scène se déroulant dans celui d’Artémis. Il s’affala sans retenue sur la grande chaise confortable d’Usagi et étala ses papiers devant lui. Il en aurait sûrement pour la journée… et même le lendemain, et peut-être encore le jour d’après… Après un long soupir, il commença à éplucher soigneusement toutes les informations, lui-même peu sûr de ce qu’il cherchait vraiment.
La poubelle était déjà pleine de paperasse quand la tête d’Usagi passa par l’entrebâillement de sa porte. Quand il vit que Maldwyn n’était pas prêt à l’étriper, il entra dans la pièce et s’approcha de son bureau en sautillant.
« Bonjou~~~r, je peux savoir pourquoi tu squattes mon bureau ? »
« Parce que tu squattais celui d’Artémis… » Répondit Maldwyn sans même lever le nez de la feuille qu’il étudiait.
« Bien entendu. » Fit Usagi avec un petit rire, comme s’il aurait du voir l’évidence même. « C’est quoi tout ça ? » Ajouta-t-il en désignant les papiers qui envahissaient son bureau.
Maldwyn leva enfin les yeux vers lui et eut un sourire qui ne plut pas du tout au voleur.
« Si ça t’intéresse tant que ça, aide-moi ! »
Pour appuyer son propos, Maldwyn lui donna un petit paquet de feuilles que le blond dévisagea longuement, n’y comprenant pas grand-chose. Il était si concentré à essayer de comprendre pourquoi Maldwyn lui donnait des feuilles sur l’exorcisme, à lui qui n’avait aucun pouvoir, qu’il n’entendit pas Artémis entrer nonchalamment, comme si de rien était, et ne put le sauver des longues griffes de l’Américain ne voulant plus travailler tout seul. Quand il vit son coéquipier avec une pile de feuilles égale à la sienne, il sourit en se disant, qu’au moins, il ne serait pas le seul à ne rien comprendre, vu qu’Artémis avait encore moins de pouvoirs que lui. Usagi pouvait au moins sentir la présence des esprits, il ne voyait rien mais savaient où ils se trouvaient. Artémis, lui… … … Ne voyait rien, ne sentait rien et pire, n’y croyait qu’à peine. Ce qui pouvait parfois être problématique vu leur métier.
Ils s’installèrent autour du grand bureau et, enfin, Maldwyn leur expliqua la situation. C’était quand même plus clair comme ça ! A présent, ils pouvaient chercher à trois, ce qui irait sûrement beaucoup plus vite.
La lecture continua donc, presque dans le silence si on exceptait les commentaires de lecture d’Usagi. Il semblait apprendre beaucoup de choses, juste pas forcément utiles pour lui-même, et encore moins pour Maldwyn.
Au bout d’un moment, Maldwyn redressa la tête et eut un bâillement des plus violents qui lui laissa une larme à l’œil. Il l’essuya d’un geste rapide et regarda ses deux collègues.
« Au fait… » Commença-t-il pour attirer leur attention. « Quand vous faites ce que vous avez fait juste avant… Pensez à fermer la porte s’il vous plaît. J’ai déjà eut assez de traumatismes avec Noland pour ne pas avoir en plus des images de vous deux sur le bureau d’Artémis dans la tête. »
Usagi explosa de rire et Artémis eut juste ce sourire en coin si caractéristique de son amusement. Il faudrait qu’ils arrivent à faire descendre Noland un jour, juste pour voir la réaction du beau-fils dans un autre cas semblable…
*****
Maldwyn en avait marre… Mais vraiment marre. Ca faisait plusieurs heures qu’ils avaient le nez plongé dans ces paperasses et ils n’avaient réussi qu’à sortir trois ou quatre feuilles de ce tas qui semblaient intéressantes. Il lui faudrait encore les lire plus en détail après. Il en venait presque à envier les capacités d’Adam et il aurait bien aimé avoir les mêmes pour ce qui est du triage de papier.
La corbeille d’Usagi était pleine depuis un moment et des tas bien alignés – par la monomanie du rangement de l’Américain, s’entassaient à côté d’elle, prêt à être recyclés à tout moment.
« Raaaah, j’en ai marre ! » S’exclama subitement le borgne châtain en s’étalant sur les tas de papiers.
Usagi lui répondit en riant et Artémis prit le temps de s’étirer avant de faire un commentaire.
« Je peux savoir ce qu’on récupèrera de t’avoir aidé toute la soirée ? »
Maldwyn leva la tête vers lui et lui lança un regard un peu perdu.
« Merde, j’ai pas pensé à ça… … … Une cartouche de clopes ? »
« C’est tout ?! Ton cabot peut bien crever à ce prix là. »
Maldwyn se redressa et fourra un coup de feuille roulée sur la tête du coéquipier d’Usagi.
« L’appelle pas comme ça. Et dis-moi plutôt ce que tu veux au lieu de râler. »
« Huuum… … Si on arrive à le sauver, tu lui avoue tes sentiments. »
« QUOI ?! Tu veux ma mort ?! »
A côté, Usagi était mort de rire et s’engagea aussi dans la partie.
« ‘Témis n’a pas tord, c’est assez ennuyant de te voir lui tourner autour et prendre cet air tout triste le plus souvent alors qu’il suffirait de si peu pour que tu sois heureux. »
« Vous plaisantez, le contraire peut pas être possible… »
« Nan nan, on est bien sérieux. »
Les sourires presque jumeaux en face de lui lui firent plus peur qu’autre chose et il laissa son front tomber sur le bureau d’un air désespéré.
« Mais pourquoi je vous ai demandé de l’aide, j’aurais du me douter que y’aurait un truc louche… »
« Allez Bébé, tu vas t’en remettre. »
« Toi, Belle-maman, tu la fermes. C’est toi qui me mets dans cet état je te ferais remarquer. »
« Eh ! T’aurais pas merdé pendant ta mission, t’en serais pas là. »
« Au fait, il est où le cabot là ? Chez vous ? » S’enquit soudainement le borgne blond.
« Oui pourquoi ? »
« Tu crois que c’était prudent de le laisser seul après tout ça ? »
« Bah… Il se portait plutôt bien ce matin… Il avait un comportement étrange mais il semblait en bonne santé. »
« … … … … »
« Y’a des fois, je me demande comment Noland a bien pu t’élever… » Commenta Artémis en s’allumant une clope.
« Bah quoi ? » Fit l’Américain en se redressant, les sourcils froncés.
« Prends ça et rentre chez toi, on s’occupe du reste de la paperasse. » Répondit Usagi en lui tendant les papiers qu’ils avaient déjà mis de côté. « Vaut mieux que tu retournes près de lui, on sait jamais. Pis même si y’a rien, tu sais comment il est, si t’es pas là, il va se laisser crever juste à ne pas bouger. »
« Raaaah… » Répliqua Maldwyn avant de quand même prendre le tas de feuilles. « Il est quelle heure ? »
« Presque vingt-et-une heures. Dépêche-toi, si ça se trouve, il crève déjà de faim là, il risque de perdre un os. »
Le dernier commentaire d’Artémis lui valut un autre coup de feuilles roulées qu’il esquiva facilement. Maldwyn se leva de la chaise qui ne lui paraissait plus aussi confortable que quand il s’y était assis et s’étira de tout son long avant de faire quelques pas vers la porte.
« Allez les gars, à demain sûrement, on est encore loin d’avoir fini. »
« A demain Maldwyn, j’pense qu’on va faire une pause aussi, mais on reviendra demain… Après tout, c’est mon bureau que tu as envahi de papiers. »
L’Américain lui répondit d’un petit rire et s’avança un peu plus vers la porte. Une fois la poignée en main, il se tourna vers le couple et leur fit un sourire franc.
« Encore merci. Vous m’avez vraiment aidé. »
« Mah de rien Bébé. Faut bien que les parents aident leur fiston. »
« ‘Témis à raison, on est là pour t’apporter tout notre soutien pour que tu puisses t’épanouir. » Renchérit Usagi d’un air presque sérieux.
Maldwyn rit franchement et ouvrit la porte avec le cœur un peu plus léger.
« A un moment, j’vous aurait maudit… Mais franchement, j’me dis que deux beaux-pères comme vous, j’aurais pu tomber sur pire. Allez, à plus les Vieux ! »
Il sortit du bureau en se marrant et avait encore le sourire en entrant dans l’ascenseur. Il le perdit doucement, à mesure qu’il se posa des questions sur la santé de Hyun et sur le comportement qu’il devrait avoir avec lui. Il regarda le tas de feuilles dans sa main et entreprit d’en lire un peu plus les détails. Le ‘ting’ de l’ascenseur le surprit et il en sortit précipitamment avant que les portes ne se referment. Il lut encore sur le chemin jusqu’à sa voiture, connaissant parfaitement le chemin dans le parking jusqu’à sa place attitrée.
Une fois dans sa voiture, son premier geste fut d’allumer la lumière pour pouvoir continuer à lire l’article qu’Usagi lui avait trouvé.
Il ne détaillait pas vraiment ce qui avait pu arriver au Coréen mais il témoignait de cas d’hommes dont le comportement avait changé du jour au lendemain. La plupart était des canulars, des mythes, mais certains semblaient être de vrais cas de possession, par des esprits ou des souvenirs d’anciennes vies.
Maldwyn fronça les sourcils à la fin de l’article où l’auteur expliquait que ça se déroulait plus souvent qu’on ne pouvait le penser. Il déposa la pile de papiers sur le siège passager et prit un moment de réflexion avant de se laisser aller à rire un peu.
Hyun, possédé ? Tu parles, il était trop hargneux pour se laisser faire !
*****
Un poing le frappa à la tempe, l’étourdissant un instant. Mais il put quand même voir l’homme au costume bariolé voler après un coup de pied bien placé de Maldwyn. Un ricanement lui échappa quand il vit le clown défiguré se redresser lentement de l’eau croupie dans laquelle il était tombé. Les égouts lui allaient vraiment bien, très en accord avec son visage déformé et ses vêtements se décomposant en lambeaux décolorés.
Le clown meurtrier s’était remis debout, les pieds enfoncés dans l’eau noire, nullement gêné par le courant violent qui semblait s’écouler autour de lui. Ses yeux noirs étaient plantés sur eux, imaginant sûrement toutes les morts qu’il pourrait leur faire vivre – différentes de celles qu’il avait déjà faites subir à ses premières victimes. Mais Hyun n’allait pas lui laisser cet espoir : il courut récupérer ses flingues qui avaient volé lors du premier coup qu’il s’était reçu et tira. Sans aucune visibilité mais il tira encore et encore. Il entendit vaguement son coéquipier lui hurler de faire gaffe, qu’il aurait pu le toucher mais il s’en moquait bien. Il tira encore et encore et encore. Jusqu’à ce qu’une main l’attrape à la gorge et l’étouffe impitoyablement. Le tueur coloré était on ne peut plus proche de lui et Hyun pouvait voir les impacts sanglants que ses balles avaient créés sur la poitrine de son ennemi. La plupart avaient porté mais le saltimbanque tueur ne semblait même pas s’en être rendu compte. Sa poigne enserrait la gorge fragile du Coréen qui commença à ressentir le manque d’oxygène.
Mais le rire gras de l’amuseur sembla lui promettre que cela ne suffisait pas. Le Coréen se sentit partir en arrière, emporté par la main de fer de l’arlequin insipide. Il ferma les yeux, s’attendant à un choc important quand il cognerait le mur lointain. Mais ses yeux se rouvrirent à l’impact. Car il n’y eut pas de percussion sourde, comme il s’y était attendu, mais une douleur vive, transperçante.
Il hurla, malgré sa gorge toujours retenue. D’autres cris se firent entendre, le rire toujours maniaque du clown ravagé, les appels de Maldwyn dans lesquels ont pouvait sentir l’inquiétude et la colère.
Hyun ressentit plus qu’il ne vit le saltimbanque tomber, il sentit la main grasse glisser le long de son corps et s’abattre au sol dans un bruit mou que son esprit dérangé par la douleur entendit plus que les cris anxieux de son coéquipier. Son regard perdu sur la main au sol remonta lentement sur son propre corps et il vit enfin pourquoi Maldwyn semblait si désespéré.
Un tuyau, rouillé et déformé par le temps et l’explosion qu’il avait du subir, s’était planté dans sa hanche droite et ressortait de façon malsaine à travers ses vêtements. Il n’entendit plus les cris de Maldwyn qu’en fond sonore, son esprit comme refusant d’accepter ce qu’il voyait. Il repoussa les mains qu’il vit s’approcher de lui ; il n’y avait pas à s’inquiéter, il n’y avait pas à hurler ainsi… Il s’en sortirait, il n’avait pas si mal que ça…
Tout perdu qu’il était, ses sens tellement nimbés de douleur qu’il n’en ressentait plus rien, il fut le seul à remarquer les mouvements que fit la silhouette au sol. Il repoussa Maldwyn, d’une force qui surprit tant l’Américain que celui-ci trébucha sur le gros corps du saltimbanque et s’étala au sol dans une gerbe d’eau salie. Comme réveillé par le coup, le clown défiguré se redressa lentement.
Une main à plat par terre, puis l’autre et enfin le haut du corps se releva, les yeux fous se posèrent sur Hyun et le sourire tordu s’étira d’une manière obscène. Le Coréen ne réfléchit plus un instant. Il allait le réduire en fumée une bonne fois pour toute. Il devait le faire, pas pour les victimes, pas pour sauver Maldwyn, pour lui-même, pour calmer cette colère qui montait en lui, cette rage de s’être laissé avoir, cette fureur d’avoir été autant blessé par un minable pareil.
Il posa une main sur le mur, l’autre englobant inconsciemment sa blessure et poussa, se retirant du piège supposé mortel pour quiconque d’autre que lui. La peau s’arracha, les muscles se froissèrent, se déchirèrent, mais il ne s’en soucia pas. Il ramassa ses armes à nouveau, ignorant l’irradiation brûlante de sa blessure au mouvement, et visa le visage difforme du clown monstrueux.
« Bye bye. »
Il tira, vidant ses chargeurs entre les deux yeux jaunes de la créature qui avait été supposée autrefois humaine. La tête explosa sous ses yeux mais il continua à tirer, jusqu’à ce qu’il n’entende plus que le ‘clic clic clic’ incessant de ses pistolets vides.
Il les laissa retomber au sol ; le bruit du métal cognant sur le sol froid résonna fortement dans le tunnel sombre, ainsi que dans sa boîte crânienne. Long et infini, le son le fit fermer les yeux et sa vision se remplit de blanc.
Il ne se sentit pas tomber, sa conscience étant déjà loin de lui au moment de l’impact. Il n’y eut que le froid, ce froid intense. Et ce blanc. Blanc de l’inconscience, blanc de l’hôpital, blanc de la douleur.
« … … … Tu es fort. Et inconscient. Mouahahah, vraiment la proie idéale. Eh ?! Qu’est-ce que tu crois faire ?! Tu penses vraiment réussir à me virer comme tu arrives à ignorer la douleur ? Tu rêves un peu trop, incapable ! »
*****
Maldwyn ouvrit doucement la porte de l’appartement, ne s’étonnant pas du silence qui y régna. Il enleva ses chaussures dans l’entrée, assez en forme pour le faire ce jour-ci. Il déposa ses papiers sur le canapé avant d’aller faire un tour par la cuisine, jeter un coup d’œil dans le frigo et pousser un long soupir. Rien n’avait bougé depuis ce matin.
Il en sortit une bière et s’assit sur une chaise de la cuisine avant de s’affaler sur la table. La tête enfouie dans les bras, il eut un nouveau soupir et se demanda comment réagir. Il écarta les bras et laissa son front tomber durement sur la table, l’œil fermé.
« T’es trop con, Maldwyn. » S’auto-insulta-t-il avant de se redresser et prendre une longue gorgée de bière.
Il se releva et posa sa canette sur le comptoir de la cuisine avant de se diriger vers la porte de la chambre de Hyun. Il hésita un instant devant mais finit par l’ouvrir, sans prendre le temps de frapper avant.
Hyun était sur son lit sur le dos, les yeux fermés, les bras grands ouverts. Cela lui arrivait parfois mais il dormait quand même le plus souvent sur le côté, recroquevillé sur lui-même. Maldwyn s’avança jusqu’au bord du lit et l’observa un instant. Quelque chose lui semblait étrange dans cette position mais il ne savait pas si c’était vraiment bizarre ou s’il se montait le chignon avec cette situation… Il hésita un long instant à côté de lui, ne sachant pas quoi faire.
Comment allait-il réagir ? Comment devait-il réagir ?
Il ferma sa paupière et se baffa mentalement. Il y avait des fois où il se posait bien trop de questions. Il leva le pied et en donna un gros coup dans le flanc du Coréen.
« Allez debout ! T’as rien mangé, j’t’avais prévenu ! »
Le regard noir qui le fixa alors lui glaça le sang mais les yeux s’adoucirent aussitôt pour prendre cet air endormi que Hyun avait toujours au réveil. Il grogna et se redressa lentement pour s’asseoir sur le côté du lit.
« Dégage, tu vois pas que je dormais ?! »
Maldwyn sourit et lui donna un nouveau coup de pied léger dans le mollet.
« Allez, lève tes fesses, j’te l’avais dit ce matin que j’agirais si je voyais que rien n’avait bougé dans le frigo. »
Hyun répondit d’un nouveau grognement mais se leva finalement pour s’étirer.
« T’es vraiment trop chiant… »
Après un dernier bâillement et un grattement de ventre, le Coréen se dirigea d’un pas lent vers la cuisine.
Tout cela sonnait vrai, se ressentait comme une certaine réalité… Mais Maldwyn ne pouvait s’empêcher de penser que Hyun aurait du être plus violent, l’aurait frappé avant d’accepter, ne se serait pas laissé faire aussi facilement. En pensant à tout ça, l’américain se dit qu’il devait vraiment être masochiste parfois à vouloir ainsi que Hyun le frappe… Il se gratta la tête d’un air embarrassé et décida de suivre son coéquipier dans la cuisine.
« Y’a des restes d’hier, ça devrait te suffire. » L’informa-t-il en fouillant le réfrigérateur.
Il en sortit plusieurs petits Tupperware et commença à préparer le repas, comme à son habitude. Mais ce soir là, le silence qui s’étendit dans la cuisine le dérangeait. Même les bâillements répétés du Coréen ne suffisaient pas à le rassurer. Il finit la préparation et fourra le tout dans le micro-onde pendant deux minutes. Il s’assit à la table, en face de Hyun, et ne le lâcha pas du regard. Les yeux noirs de son collègue ne quittèrent pas les siens, sans vraiment d’expression à part une apathie profonde.
« Alors, tu as eu une bonne journée à ne rien faire ? » Finit-il par demander pour rompre le silence devenant pesant.
L’expression amorphe du Coréen changea du tout au tout en un instant.
« C’était enrichissant… Vraiment. »
Le sourire qu’il afficha alors refila des frissons à son coéquipier. Hyun pouvait être vraiment « creepy » (il n’y avait bien que l’expression en anglais qui venait à l’esprit à Maldwyn pour vraiment refléter ses pensées) quand il le voulait, mais là, c’était pire que jamais.
Malheureusement – ou non, le micro-onde décida de se mettre à sonner à ce moment précis, faisant sursauter l’Américain qui se leva aussitôt pour aller chercher l’assiette et la déposer devant Hyun.
« J’pense pas que tu aies besoin de mon aide pour lever ta fourchette, j’vais te laisser. J’ai eu une longue journée, moi. »
Un ricanement lui répondit, vite étouffé par un brocoli farouchement croqué.
Et là, Maldwyn fut certain que quelque chose n’allait vraiment pas avec Hyun. Il n’aurait jamais cru le voir manger autant un jour. Il retint son effarement et s’avança vers la porte de la cuisine où il s’arrêta.
« Au fait, tu viens au bureau demain, le Vieux aimerait te parler. »
Un mouvement de la tête lui répondit, la bouche étant trop occupée à avaler un gros morceau de viande. Le borgne fut presque écœuré de cette vision d’horreur et il fuit la cuisine pour s’enfermer dans sa chambre après avoir récupéré sa pile de papiers dans le salon.
Il ne pensait pas aimer la routine, il l’avait bien prouvé tout le long de son adolescence troublée, mais il avait bien assez de nouveautés chaque jour dans son travail pour ne pas en désirer tous les soirs en plus. La routine qu’il avait créée avec Hyun l’aidait à se sentir bien en temps normal, à sentir qu’il y avait quand même quelqu’un de normal dans ce monde dont il voyait le plus souvent la phase la plus folle.
Il se laissa tomber sur son lit et déposa son paquet de feuilles sur son visage. Qu’est-ce qui pouvait bien se passer…
Maintenant, en tout cas, il en avait le cœur net, ce n’était pas une blague. Même pour emmerder un maximum son coéquipier, Hyun aurait été incapable de se forcer à manger ainsi : son rapport avec la nourriture était encore plus conflictuel que celui avec Maldwyn.
Il vira les feuilles qui lui obscurcissaient la vue et regarda longuement son plafond. Il le connaissait par cœur déjà, des années de nuits blanches aidaient à ce genre de choses. Son regard oublia donc bien vite la peinture blanche et se perdit dans ses pensées. Il repensa à l’article mais ne voulait pas croire à une possession possible. Ils avaient beau se vendre en tant qu’« exorcistes », ils n’avaient jamais eu affaire à ce genre de cas. Il faut dire qu’il ne devait pas y avoir beaucoup de boulettes dans le même genre que celle qu’il avait faite.
Il poussa un nouveau soupir et rattrapa les papiers qui s’étaient étalés sur son lit. Et bien, il allait avoir de la lecture pour la nuit.
*****
Une fois les brocolis finis, Hyun se leva, s’étira et laissa tout en plant avant de retourner dans sa chambre. Il s’affala sur le lit et ferma les yeux.
La rue lui semblait tellement longue et la maison familiale était encore en vue, c’était encore trop proche, trop proche de ces imbéciles. Il accéléra le pas et s’engouffra dans des rues de plus en plus petites. Tout pour s’éloigner de son milieu, tout pour essayer de devenir quelqu’un d’autre, même si ce n’était que pour une nuit.
Mais ce coup de téléphone… Cet appel du destin qui le fit revenir à son point de départ.
« Eurf ! Trop nul, on l’a déjà vu ça ! Passons à un autre… »
La première fois qu’il avait vu Noland, il n’avait pas pu s’empêcher d’être légèrement impressionné. Mais pas plus d’une seconde, bien entendu. C’était pas un vieux balourd qui allait lui faire peur.
Les choses s’étaient tellement enchaînées qu’il était difficile de faire le point sur comment il s’était retrouvé ici mais en tout cas, maintenant qu’il y était, il regrettait de s’être laissé embarqué. Les locaux étaient propres et même assez impressionnants pour une entreprise basée sur un tel concept, mais ça ne le convainquait pas. Encore plus quand son normalement futur patron lui présenta son normalement futur coéquipier. Comment pouvait-il croire qu’il bosserait avec ce type ressemblant à rien ?! On aurait cru qu’il sortait d’une vieille publicité américaine ratée…
« T’as que ça à me montrer ?! Grrrrumpf ! Tu vas voir si tu peux vraiment me faire croire que ça fait parti des moments les plus marquants de ta vie ! »
Il ne pouvait pas rester dans ce pays… Vraiment pas. Pas avec ces parents, pas alors qu’elle n’était plus là. Ils étaient tous là, tous ceux qui l’avaient soutenu. Ces amis que ses parents n’appréciaient pas forcément mais ça, il s’en foutait. Son père n’appréciait pas grand-chose de toutes façons, à part les bonnes notes et les bonnes manières, et sa mère… … … Il préférait ne pas en parler.
Il serra la main de Meng, geste qui se transforma en accolade fraternelle.
« Tu vas nous man… »
« MAIS MERDE ! T’as vraiment des souvenirs de merde ! T’es peut-être une bonne proie mais t’es pas capable de me montrer mieux que trois scènes sympas ?! J’avoue, le coup du clown était fun, et la harpie aussi mais zut quoi ! T’as du vivre d’autres trucs que ça ! Pourquoi j’arrive pas à les voir ?! »
Le corps du Coréen ouvrit subitement les yeux et se redressa avant de prendre sa tête dans les mains.
« Fous-moi… La paix ! »
Et il retomba sur le lit, inconscient.
*****
Vers 6h du matin, Maldwyn posa la dernière feuille et bailla violemment. Il était temps de passer en mode ‘journée’ à en voir le soleil qui se levait rapidement. Il s’étira de tout son long sur son lit, comme un chat qui aurait passé son temps à dormir en boule – ce qu’il n’avait bien entendu pas fait, et se leva pour aller chercher des fringues dans son armoire pour ensuite aller prendre sa douche. Dans le couloir, son regard se tourna vers la porte de la chambre de Hyun et il se mordit la lèvre à l’idée de ce qu’il allait devoir faire aujourd’hui. Mais il ne pouvait décemment pas laisser Hyun se balader tout seul dans la nature dans cet état. Il allait l’embarquer avec lui au bureau et voir comment les choses allaient se passer…
Mais pour l’instant, il avait une douche à prendre.
*****
Les yeux de Hyun s’ouvrirent brusquement, sans qu’un autre muscle de son corps ne bouge. Son regard noir était porté vers le mur sombre, où juste quelques ombres de branches se mouvaient paresseusement sous le mouvement du vent à l’extérieur. Il referma les yeux et allait se rendormir quand des coups violents retentirent contre la porte. Il se leva d’un coup et alla violemment ouvrir la porte en grand. Maldwyn le regarda d’un air étonné, le poing encore en l’air.
« Et beh, t’as pas mis longtemps à ouvrir aujourd’hui ! » Fit-il avec un sourire amusé. « Allez, dépêche-toi de te préparer, on part dans pas longtemps. »
Et son colocataire se détourna de lui pour aller préparer un petit déjeuner rapide, café et pancake, à la mode américaine.
Hyun resta un instant sans bouger ; il était rare pour Maldwyn de se trimballer sans un bandeau sur son œil blessé mais aujourd’hui était un jour comme cela. Et la vision des trois grandes cicatrices qui barraient la paupière fermée à jamais lui donna des frissons. Lentement, un grand sourire naquit sur son visage. Trop grand. Presque inhumain.
Sa proie était assez intéressante, mais cet homme l’était tout autant. Il était bien tombé… Et allait bien s’amuser, sûrement.
*****
Le chemin en voiture fut silencieux, la radio jouant un air classique pour jeunes japonais branchés que Maldwyn supporta tant bien que mal pour voir si Hyun allait y changer quelque chose. Le Coréen n’appréciait pas en temps normal ce genre de musique, préférant le métal bien bourrin pour le plus grand malheur des oreilles de son conducteur.
L’Américain n’avait pas besoin de preuves de plus mais ça ne pouvait pas faire de mal de le confirmer une nouvelle fois. Et quand il entendit Hyun humhumer la chanson, il n’en crut pas ses oreilles. il pouvait au moins se dire que cette expérience étrange lui donnerait de mon moyen de se moquer de Hyun plus tard, quand tout irait mieux… Si tout allait mieux un jour.
Il se gara dans le parking visiteur de la société, bizarrement peu désireux de montrer à ce Hyun anormal les tréfonds du bâtiment. Il prit bien soin de fermer toutes les portes à clefs et emmena son collègue par l’entrée principale. Il salua les jolies secrétaires qui s’occupaient du premier tri des clients et prit l’ascenseur principal qui les emmena jusqu’au troisième étage. Il continua jusqu’au bureau de Hyun et laissa le Coréen y entrer.
« On a encore un peu de temps, tu peux bosser sur le dossier en attendant, j’vais voir Usa et Témis pour leur demander des infos. »
Il n’y avait aucun dossier qui les attendait mais Maldwyn comptait bien sur la désorientation de Hyun pour que celui-ci essaye de trouver de quel dossier il pouvait bien parler le temps que Mald’ puisse trouver quoi faire de lui. Oui, c’était risqué mais bon…
Il le laissa donc dans le bureau et se dirigea d’un pas rapide vers le bureau d’Usagi où il retrouva ses deux collègues dans une position démontrant qu’ils étaient clairement en pause.
« Mais merde ! Vous savez faire que ça dans un bureau ou quoi ?! »
Usagi lui répondit d’un rire et réajusta sa chemise avant de lui répondre.
« C’est juste qu’on s’ennuie parfois… »
« Mouais, mouais… J’en conclus que vous en avez fini avec les papiers ? »
« Exactement. » Répondit Artémis en se redressant pour s’appuyer sur le côté du bureau du blond. « Et j’dois te dire que ça à plutôt l’air mal barré pour ton p’tit copain, vu c’qu’on a trouvé. »
« Comment ça ? Qu’est-ce que vous avez trouvé ? Raconte ! » S’exclama Maldwyn, sentant aussitôt la panique monter en lui – et ignorant intentionnellement la pique de son collègue sur sa relation avec Hyun.
« Calme-toi Maldwyn, » le rassura Usagi, « on a trouvé deux ou trois hypothèses possibles, on sait pas trop ce que ça peut être… »
« Ca change pas que les trois sont pas terribles de toutes façons. » Annota Artémis de son ‘positivisme’ légendaire.
« L’écoute pas, tu le connais. » Sourit Usagi en tendant quelques papiers vers Maldwyn. « Donc les propositions sont : un, la mort de l’âme de la personne touchée, deux, un transfert/ échange des âmes du lanceur de sort et du touché ou trois, l’attirance d’une âme extérieure dans le corps du touché. »
Maldwyn regarda Usagi lui énumérer tout ça en le regardant avec un air bovin. Il n’avait rien lu de tout ça dans le paquet de documents qu’il avait emporté… Il faut dire qu’il s’était concentré sur l’idée de possession, cela avait peut-être influencé sa façon de lire les papiers.
« … Si j’ai bien compris, ça peut pas être le un parce que sinon, on aurait un zombie avec l’apparence de Hyun mais rien dedans, or, je peux vous dire qu’il bouge encore bien et qu’il peut parler de façon sensée. »
« C’est sûr, c’est étrange par rapport à avant ça. » Glissa Artémis avec un sourire en coin.
Maldwyn lui répondit d’un roulement des yeux et continua.
« Le deux, bah… Je suis bien là et je pense pas avoir échangé d’âme avec qui que ce soit. »
« Sûr, tu grognes pas. »
« Artémis… » Fit Usagi avec quand même un léger sourire sous les commentaires de son partenaire. « Donc ça serait l’option trois… Une âme extérieure serait rentrée en lui. »
« Ce qui s’accorderait avec l’idée de possession que j’avais vu plusieurs fois de mon côté. » Renchérit Maldwyn.
« Manquerait plus que ça : Hyun possédé. J’espère que c’est par quelqu’un de plus intelligent que lui au moins. »
L’Américain finit par donner une tape sur la tête d’Artémis.
« Mais maintenant, le truc, ça va être de trouver comment le sortir de ce merdier. »
« Tu veux dire comment sortir le merdier de lui, non ? »
« Belle-maman, moins de commentaires et plus d’actions seraient les bienvenus, tu sais. »
« Et comment tu veux qu’on agisse ? Ton copain est pas là et on sait pas quoi faire ? On l’envoie au Doc’ et il le dissèque pour sortir un truc qu’on sait même pas à quoi ça ressemble ? »
Maldwyn grogna.
« Hyun est dans son bureau, j’l’ai embarqué aujourd’hui. »
« Et tu l’as laissé seul ? On sait pas à qui appartenait l’âme qui est entrée en lui ! » S’exclama Usagi, se donnant l’impression d’être la voix de la raison – ce qui lui arrivait peu en temps normal.
« Tu crois quand même pas qu’il puisse être vraiment dangereux pour quelqu’un ici… » Répondit l’autre borgne sur un ton inquiet.
« On sait jamais. Va le chercher et ramène-le ici, il vaut mieux ne pas le laisser seul dans un moment pareil. »
« Roger ! » S’écria-t-il en réponse, ses pieds l’ayant déjà emmené à la porte.
Il continua sur sa lancée, n’attendant pas d’autres conseils ou remontrances de la part du couple et courut dans les couloirs de toute sa vitesse. Il ouvrit la porte du bureau de Hyun à la volée et se retrouva comme un con devant la pièce vide.
Il y avait des jours, il se disait que le Coréen avait parfois bien raison de le traiter comme un imbécile…
*****
Hyun était resté à peine cinq minutes dans son bureau avant d’en sortir. Il n’allait pas attendre comme un gentil petit chien quand il avait tant de choses à visiter…
Le premier jour où il était venu dans la société, il l’avait trouvé petite. D’accord, il y avait beaucoup de couloirs et de bureaux différents, mais finalement, peu d’entre eux étaient occupés et il était plutôt habitué aux grandes demeures. Il écoutait à peine la voix de l’autre homme qui le faisait visiter. Il se moquait bien de savoir qui résidait où dans le bâtiment, il ne comptait pas rester ici longtemps. Juste le temps de trouver les renseignements qu’il désirait et après, il pourrait se tirer.
Il regarda la porte du bureau qui lui était attribué et eut un reniflement méprisant. Il n’allait pas avoir besoin d’un bureau, surtout pas d’un placé à côté de celui de cet imbécile qui allait devoir lui servir de coéquipier.
« C’était y’a combien de temps ça ? Parce que semblerait que tu sois resté plus longtemps que ça au final ! T’es trop faible comme mec ! Voyons voir pourquoi, j’suis sûr ça sera intéressant ! »
Sa main se posa sur la porte du bureau voisin du sien. Juste une main pâle sur une porte grise.
Il ferma les yeux et son front rejoignit sa main sur la surface claire. Il n’aurait jamais cru qu’il regretterait un jour de ne voir personne dans ce bureau-ci.
Mais en ce moment précis, il aurait donné quoi que ce soit pour que le crétin qui l’occupe en temps normal soit ici plutôt qu’à l’hôpital.
« Mouahahahah ! J’aurais dû m’en douter ! C’est pour lui que t’es resté, hein ! Et t’es trop con pour t’en rendre compte ! »
Hyun s’arrêta brusquement et une main monta à son crâne, agrippant les cheveux clairs en une prise douloureuse.
« Hyun ? »
Le regard noir se releva aussitôt et tomba sur une grande silhouette. Le Vieux. Il ne manquait plus que ça. Le Coréen regarda autour de lui, et fronça les sourcils. Noland ne sortait normalement jamais de son bureau, qu’est-ce qui pouvait bien se passer pour qu’il le rencontre dans un couloir quelconque…
« Quoi ? » Répondit-il sèchement, de manière clairement agressive.
Le grand brun se contenta de lever un sourcil.
« Tu me cherches hein ?! » Grogna encore Hyun en voyant sa réaction.
Le patron eut un léger mouvement de recul qui mit le Coréen en confiance.
« T’es faible toi aussi. »
Il explosa d’un rire froid et reprit son chemin, jusqu’à ce que Noland l’appelle.
« Su Hyun. »
Il s’arrêta net et ferma douloureusement les yeux. La main que Noland posa sur son épaule lui fit l’effet d’un coup de poing.
Sa mâchoire le lançait encore alors que son regard se posa à nouveau sur son adversaire. Qui aurait cru qu’un type aussi large serait aussi rapide ! Il se redressa et se remit en position de combat. Il ne serait pas dit qu’il se laisserait faire par ce gars !
Il attaqua en premier cette fois-ci, misant quand même sur sa vitesse légèrement supérieur à celle de son opposant pour ce qu’il en avait jugé. Il parvint à le toucher à la tempe, le faisant légèrement chanceler, mais se prit un méchant coup en retour.
Autour d’eux, les spectateurs avaient des expressions diverses, entre l’admiration et l’effroi. Il ne pouvait pas se permettre de perdre, il n’était pas faible, il devait être fort pour réussir ce qu’il avait entrepris !
Il se redressa et darda son regard noir dans celui brun chaud de Noland. Il le vaincrait, pas seulement parce qu’il voulait ce job – bien au contraire, il se moquait bien de Phenomena à part pour les informations qu’il pourrait y glaner, mais surtout pour sa propre fierté et pour se prouver ses capacités. Il ne devait pas se laisser faire par le premier venu, son véritable ennemi était bien plus puissant que ça.
« Ne. Me. Touche. Pas !!! »
Il se dégagea de la main sur son épaule et se mit à courir dans le couloir. Il n’était pas sûr de pouvoir revivre un tel combat dans cet instant présent. Il ne se maîtrisait pas encore assez pour ça.
*****
Maldwyn parcourait les couloirs de la société à la recherche de son coéquipier. Il ne pouvait pas être si loin que ça, le bâtiment n’était pas si grand, surtout qu’Artémis et Usagi le cherchait aussi. Une idée germa dans son crâne et il se précipita alors vers le bureau d’Adam.
« Belette ! J’ai besoin de ton aide ! »
L’informaticien vira précipitamment Tristent de ses épaules pour se tourner vers lui. Maldwyn fronça légèrement des sourcils mais avait d’autres choses auxquelles penser en ce moment même.
« T’as un moyen d’avoir les images des caméras de surveillance de l’immeuble ? »
« Bien entendu. Mais tu crois vraiment que je n’ai que ça à faire ? » Répondit le blond en grognant.
« Je sais que tu t’en fous mais on a trouvé ce que Hyun a et j’ai besoin de le trouver dans l’immeuble. »
« Oh ! » S’exclama alors la jeune fille en s’accrochant au bras de Maldwyn. « Il a quoi alors ! Dis dis dis ! »
Maldwyn regarda la demoiselle accrochée à lui, qui l’observait de ses grands yeux bleu-gris, et poussa un long soupir.
« Semblerait qu’il ait été possédé par une âme… Ou un truc du genre. On ne sait pas qui ça peut être. Et pour l’instant, il se balade dans ce bâtiment sans aucune surveillance. »
« Vous êtes vraiment trop nuls. » Commenta Adam.
Mais l’informaticien s’était tourné vers ses écrans et commença les recherches.
« Il faut absolument qu’on le retrouve ! » S’exclama Tristent. « J’y vais ! »
Maldwyn la retint par le bras.
« Mais attends, c’est pour ça que je suis là, ça sert à rien de chercher dans le vent, il pourrait être n’importe où. »
« Mais mais mais ! »
« Il est au deuxième étage. Pas loin d’ici en fait. Le patron arrive d’ailleurs, il l’a peut-être croisé. »
Les mots d’Adam se virent confirmer dans les secondes qui suivirent avec la silhouette de leur supérieur qui se découpa dans l’encadrement de la porte.
« No ! Tu as vu Hyun ? »
Son père adoptif ne parut pas surpris et lui montra le fond du couloir du pouce.
« Là-bas. »
« Merci ! » S’exclama le borgne avant de le pousser légèrement pour pouvoir courir dans le couloir.
Tristent essaya de le suivre mais Noland la retint de la même manière que Maldwyn peu avant.
« Je vais avoir besoin de ton aide. »
« Mais Hyun est là-bas ! »
« Justement. » Fit-il en raffermissant sa prise. « Adam, j’ai une recherche pour toi. »
Sans discuter, le blond plaça ses mains sur le clavier, prêt à rechercher n’importe quoi.
*****
Maldwyn courut à toute vitesse, effectuant des glissades dignes des plus grand X-tremeurs à chaque tournant. Il ne tarda pas à tomber sur la silhouette fine de son coéquipier qu’il rejoignit à grandes enjambées.
« Hyun ! »
Le Coréen se tourna vivement vers lui et lui lança un regard sombre. Alors Maldwyn se dit que le mieux serait d’agir normalement avec lui, comme si tout était comme d’habitude, comme s’il n’avait pas été découvert. Pour l’observer, pour découvrir qui il était, pour voir si le vrai Hyun était toujours là ou non…
« Bah alors, t’étais où ?! J’suis allé te chercher à ton bureau mais t’y étais plus. Finalement, le Vieux nous verra pas aujourd’hui. Mais il a déjà du te le dire, nan ? Je l’ai vu dans le couloir juste avant. »
Hyun répondit d’un « Hn » peu expressif avant de reprendre sa marche, donnant un coup de pied dans un caillou imaginaire.
« J’l’ai juste croisé, il m’a rien dit. »
« Ah, okay. Tu faisais quoi là alors ? » Demanda alors Maldwyn qui suivit son mouvement.
« J’avais envie de marcher, ça te dérange ? »
« Pas du tout. J’me demandais juste où tu comptais aller et si je peux t’accompagner. »
« J’allais nulle part et ta présence n’est pas forcément la bienvenue, ça répond à tes questions ? »
« Plutôt bien oui. »
Ils marchèrent alors quelques pas en silence.
« Tu comptes me suivre toute la journée ? » Grogna le Coréen.
« Tu veux aller boire un verre ? »
« Parce que tu crois que j’ai envie de me trimballer avec un mec dans ton genre dans des bars. Dégage, tu pollues mon air là. »
Maldwyn sourit un peu, cachant sa tristesse derrière ces coins de lèvres relevés. Ca sonnait presque comme Hyun, ‘presque’ étant le mot principal.
Il ne savait plus trop comment réagir avec lui ; il avait envie de le prendre par les épaules et de le secouer comme un prunier pour faire sortir cet intrus du corps de son coéquipier mais il ne pouvait pas le faire sans savoir si ça marcherait ou pas. Il ne savait pas ce que ce type voulait mais il agissait presque comme Hyun sûrement dans l’espoir de rester dans le coin… Pourquoi, il n’en avait aucune idée mais il finirait bien par le découvrir en le laissant agir comme si de rien n’était.
« Allez, viens, ça fait longtemps qu’on a pas eu de journée calme, on peut bien passer une soirée au bar ! »
Hyun le regarda d’un air suspicieux. Il savait qu’il ne buvait pas en temps normal… Comme il savait que Maldwyn était un grand amateur de boissons alcoolisées. Il allait peut-être accepter ; il avait déjà visité presque tout ce bâtiment sans y trouver quoi que ce soit d’intéressant et être loin d’ici lui permettrait d’éviter à nouveau le grand type effrayant.
« … J’te suis. Mais tu payes. » Répondit-il finalement avant de s’avancer vers l’ascenseur.
Maldwyn réussit à sourire d’un air plus convaincant.
« Comme si ça allait changer de d’habitude ! »
*****
L’atmosphère du « 8ème péché » était toujours aussi enfumée mais cela n’empêcha pas Maldwyn de respirer à pleins poumons. Il se sentait chez lui ici. Il faut dire qu’il y avait travaillé pendant un bon moment, avant qu’il ne revienne à Phenomena. Il y avait passé la plupart de son adolescence, d’abord en client, puis en tant que barman. Il se dirigea vers le comptoir d’un pas habitué vérifiant juste d’un coup d’œil que Hyun le suivait bien. Le coréen ne semblait pas à l’aise, peut-être parce que la plupart des couples présents dans ce bar étaient composés de personnes du même sexe.
Ce n’était pas un bar homosexuel à proprement parler, mais la politique d’acceptation de tous les genres en avait fait un endroit reconnu pour cela… Surtout quand on rencontrait la Patronne. C’était une femme grande et belle, on pouvait même dire sexy avec ses airs exotiques venant du sang espagnol coulant dans ses veines, même si Maldwyn ne la voyait pas vraiment dans ce sens. Elle était un peu la mère qu’il avait perdue, s’occupant de lui de loin, un peu comme Noland… Toujours était-il que beaucoup des hommes venant dans ce bar avaient essayé d’entrer dans son cœur mais qu’elle les avait tous rejetés. A cause d’un vieux chagrin d’amour jamais oublié, pour ce qu’il en avait entendu. Elle régnait sur le 8ème Péché telle une reine mais tout le monde l’adorait, de par sa gentillesse et son intelligence. Maldwyn lui était énormément redevable et se dit que ça faisait un moment qu’il ne l’avait pas vue justement…
Il s’installa au bar et fit un grand sourire au barman.
« Hello toi ! » Fit-il en tendant une main à son ami.
Sion l’attrapa et ils partagèrent leur poignée-de-main-secrète-de-quand-ils-étaient-plus-jeunes. Ils se relâchèrent avec un éclat de rire et Maldwyn commanda alors sa boisson habituelle.
Hyun s’était installé à côté de lui, jetant sur les alentours un regard de bête traquée, ce qui fit intérieurement marrer l’Américain.
« Et ton copain, il prend quoi ? » Demanda le barman en zieutant le Coréen d’un air pas convaincu.
« Il va prendre comme d’habitude aussi, hein. N’est-ce pas Hyun ? »
Hyun se tourna vers lui avec un air étonné mais finit par se ressaisir et acquiesça.
« J’vois pas pourquoi je prendrais autre chose, tu le sais bien. » Grogna-t-il d’une manière presque convaincante.
Plus Maldwyn le voyait, plus il se demandait comment il avait pu croire que son coéquipier allait bien. C’était si clair que c’était quelqu’un d’autre que ça faisait mal de le voir ainsi… Il reporta son regard sur Sion qui semblait un peu perdu, Hyun n’avait jamais été un habitué à cet établissement et il n’avait aucune idée de ce qu’il devait lui servir.
Heureusement, un clin d’œil de la part de Maldwyn le rassura. Il se passait encore un truc louche autour d’eux et il n’était pas sûr de vouloir en savoir plus. Il appellerait peut-être Maldwyn sur son portable plus tard, s’il n’arrivait pas à lui parler seul à seul. Il savait qu’il y avait des moments où il valait mieux qu’il ne se mêle pas des affaires de son ami – Maldwyn lui avait bien fait comprendre qu’il ne voulait pas le mettre en danger plus que nécessaire, mais il savait aussi que l’Américain avait parfois besoin de soutien dans tout ça… Surtout vu ses sentiments fluctuants à propos de son coéquipier. Coéquipier qui semblait encore plus hargneux et étrange aujourd’hui que les autres jours où il l’avait rencontré.
Il lui prépara alors un classique de la maison ‘douceur des îles’, goût simple qui plaisait à la plupart, légèrement alcoolisé mais pas assez pour qu’on s’en rende compte. Il avait déjà vu pas mal de clients se saouler assez vite sans même s’en rendre compte à cause de cette boisson. Le Coréen grommela un remerciement et reporta son attention sur le reste du le bar, comme si c’était la première fois qu’il entrait dans un établissement pareil.
Sion se tourna à nouveau vers Maldwyn et lui fit un petit signe pour qu’il se penche sur le comptoir.
« Tu veux m’en parler ? » Murmura-t-il à son meilleur ami en faisant un geste du menton vers le Coréen.
Maldwyn lui répondit d’un sourire légèrement triste.
« Tu crois que le nouveau pourrait le surveiller pendant qu’on parle ? »
« Le nouveau s’appelle Jack et ça fait plus de trois ans que tu le connais, Mald’… Mais je pense que c’est possible oui. »
Sion se redressa et alla parler quelques secondes avec son propre coéquipier de comptoir qui prit rapidement sa place, lui faisant juste bien remarqué que c’était bien parce qu’il n’y avait pas beaucoup de clients qu’il le lui permettait.
Maldwyn posa une main sur l’épaule de Hyun qui sursauta. Maldwyn se mordit l’intérieur de la lèvre devant ce réflexe si étrange chez le Coréen.
« Je vais aux chiottes, fais pas de bêtises en mon absence. »
« T’étais pas obligé de préciser, va chier et fous-moi la paix. » Répliqua son coéquipier en lui lançant un regard dégouté.
Maldwyn eut un petit rire amusé et se dirigea vers les toilettes mais tourna juste avant, par la porte réservée aux personnel. Peu de choses avaient changé de ce côté-ci du mur, les mêmes étagères emplies de bouteilles, le même bureau où des piles de papiers et factures s’entassaient, le même serveur qui lui souriait de toutes ses dents, son tablier soigneusement lacé autour de lui.
« Ca fait un moment que t’es pas venu ici, hein ? »
« Ouais, mais ça n’a pas changé. A part la poussière qui s’accumule, plus personne n’a fait le ménage depuis que je ne suis plus là ? »
« Eh, on n’est pas tous aussi amis avec les plumeaux que toi. Mais ne t’occupe pas des étagères et parle-moi de ce qu’il se passe. »
L’Américain eut un petit éternuement et posa sa main sous son nez pour essayer de bloquer quelque peu l’arrivée de poussière à ses narines. Il essaya d’ignorer les fourmis qui lui arrivaient dans les mains à l’idée de nettoyer le bureau et regarda Sion. Son ami avait l’air inquiet et ses sourcils froncés étaient une expression qu’il n’était vraiment pas habitué à voir.
« Y’a rien de grave, t’en fais pas comme ça. »
« Maldy, je te connais comme si je t’avais fait naître. Les seules fois où je t’ai vu pleurer, c’était pour des histoires de cœur et si l’autre crétin est impliqué, ça risque bien d’arriver. »
Maldwyn eut un rire sonnant faux. Sion le connaissait trop bien…
« Je compte pas pleurer pour lui t’en fais pas, il en vaut pas la peine. »
« Ca, je le savais déjà, dis-moi plutôt quelque chose de neuf. »
« Et bien… » Commença-t-il en réponse en s’adossant au mur. « Comme tu l’as deviné, c’est en rapport avec Hyun, il lui arrive un truc bizarre… Je sais pas si je peux t’en dire plus mais ça l’a changé… »
« Et tu le trimballes comme ça avec toi ? » S’exclama Sion d’un air choqué.
« Je préfère le garder avec moi plutôt que de le laisser en liberté tout seul ou de l’enfermer. Je t’ai déjà parlé de son comportement autodestructeur, ça m’étonnerait qu’il se laisse faire même s’il n’est plus vraiment lui-même. »
« … Je comprends pas tout là… »
« Normal, J’t’ai pas tout dit… Enfin bon. Toujours est-il que j’ai improvisé et que je me suis retrouvé là… »
« Je ne sais pas si ça doit me faire plaisir que tu sois venu me voir dans ce genre de cas… »
« Eh, c’est que je te fais confiance ! Réjouis-en-toi ! » Fit Maldwyn avec une joie sonnant on ne peut plus faux.
Sion répliqua d’un roulement exaspéré des yeux au ciel. Maldwyn était un boute-en-train depuis toujours mais parfois, il prenait ce rôle bien trop à cœur même s’il ne savait pas le jouer.
« Qu’est-ce que je peux faire pour toi alors ? »
« Rien. Comporte-toi normalement et soutiens-moi, c’est tout. Je voulais juste changer un peu d’environnement pour voir ses réactions. »
« Mouais… » Répliqua le Japonais avec une moue peu convaincue. « Tu sais que tu peux compter sur moi, hein ? »
« Bien entendu. »
Sans aucune hésitation, ils se firent une accolade des plus fraternelles, profitant bien de la présence rassurante de l’autre.
Ils se séparèrent et échangèrent un sourire complice. Ils avaient tant partagé et se connaissaient si bien qu’ils n’avaient pas besoin de plus de mots. Ce genre de petits moments avait manqué à Maldwyn, lui qui n’avait plus trop de temps à cause de son boulot ; il était vraiment heureux de voir que rien n’avait changé.
Mais leur moment de tranquillité fut soudainement troublé par un cri qui résonna au dessus de la musique de fond tranquille. En moins d’une seconde, Maldwyn était hors de la pièce.
Il avait reconnu la voix de Hyun.
*****
Il aimait plutôt bien cet endroit, c’était plus vivant que les bureaux miteux où ils travaillaient. Et il n’y avait pas de géant agressif ici.
En plus, Maldwyn était parti pisser et le serveur qui semblait être son pote avait disparu, il était tranquille tout seul et allait en profiter. Il allait se lever pour se rapprocher de la scène quand sa tête le lança subitement.
Il haïssait cet endroit. Trop de gens, une musique de merde et ils n’avaient même pas de thé glacé. Et cet idiot de Maldwyn n’était même pas là, il ne pouvait passer ses nerfs sur personne. L’autre serveur, le roux qui semblait si incongru dans ce décor, lui demanda s’il allait bien.
Est-ce qu’il avait l’air d’aller bien là ?!!! Son mal de tête s’aggrava.
Il n’avait pas vu grand-chose à part une main.
Une si petite main. Si pâle. Si morte.
Il avait hurlé, son portable avait glissé de sa main sans même qu’il ne s’en rende compte et s’était écrasé au sol et éparpillé : le couvercle de la batterie volant loin de lui et celle-ci ayant décidé de recouvrer une liberté inutile au beau milieu d’une flaque d’eau.
Il avait voulu courir vers elle, la prendre dans ses bras, remettre un peu de couleur sur ses joues qu’il imaginait aussi pâles que sa main, mais un policier l’avait soudainement pris par les épaules et l’avait retenu en arrière. Il avait hurlé, crié qu’il la connaissait, qu’il voulait la voir, qu’il avait besoin de voir si c’était vraiment elle, si elle était vraiment morte, si c’était vraiment sa sœur.
On ne lui permit pas et il en souffrit tant. Cela l’enragea tant.
Il refusa d’aller à son enterrement, au lieu de cela, il prépara ses bagages. Il avait entendu les conclusions du légiste et n’y croyait pas. Il avait vu le lieu du crime lui-même, il avait vu le sang, partout, s’écoulant entre les pavés ; bien trop de sang pour un simple meurtre, bien trop pour que ça soit un humain qui l’ait perpétré…
Il allait trouver qui ou qu’est-ce qui avait fait ça et il allait le faire baver.
Un sourire fou s’étala sur son visage quand il rangea précautionneusement son arme dans son sac.
Il avait un genou à terre quand Maldwyn le rejoignit, il avait chaud et sa tête l’élançait encore beaucoup ; il avait l’impression qu’on lui donnait des coups de marteau de l’intérieur de son crâne, comme si un nain maléfique habitant son cerveau essayait d’y creuser un trou pour pouvoir sortir.
La voix de l’Américain l’irritait encore plus. Qu’est-ce qu’il avait à crier comme ça ?! Il n’allait pas mourir, pas encore ! Ces souvenirs lui avaient rappelé pourquoi il avait commencé tout ça, pourquoi il était resté et quel était son vrai but. Il n’allait pas mourir si facilement sans avoir rempli sa mission !
Il repoussa la main de Maldwyn d’un geste sec et se redressa - trop vite, il dut se retenir au comptoir pour ne pas retomber. Il repoussa tous les essais de l’Américain qui se prenait pour une maman poule et finit par le frapper, durement, en plein ventre.
Le geste aggrava son mal de crâne mais il en avait assez de cet imbécile qui le prenait pour un infirme. Ainsi, il lui démontrait sa force, son indépendance.
Il se dirigea alors vers la sortie du bar, repoussant tous les autres assauts contre lui – de la part des serveurs et même de certains clients. Il avait besoin de respirer, il avait besoin de marcher, il avait besoin de faire le point avec lui-même.
Et avec cet autre aussi.
*****
Le coup avait porté de manière à faire mal, et cela Maldwyn le ressentait bien. Il était plié en deux au sol, de la bile remontant douloureusement par sa gorge, la respiration difficile, mais bizarrement, ça le rassurait.
Ca, c’était Hyun. Cette colère renfermée en ce corps si fin, cette violence aussi bien par les mots que les gestes, ce refus entêté de l’aide… Il avait l’impression de le retrouver après des années passées en son absence, des retrouvailles douloureuses, amères.
Sion l’aida à se relever et il l’en remercia de quelques mots avant de se diriger à son tour vers la porte en trottinant comme il pouvait, un bras toujours pressé sur son ventre. Il sortit son portable de sa poche et enclencha la fonction répétition.
« 8ème Péché, il s’est tiré et je l’ai perdu de vue. »
Il raccrocha aussitôt, sachant parfaitement que son locuteur devinerait de quoi il parlait. Un coup d’œil de chaque côté de la rue et il s’engagea vers la gauche : le chemin le moins peuplé était le plus probable. Sa respiration était revenue et la douleur avait reflué, il pouvait maintenant courir à un rythme à peu près normal.
Ce qu’il fit aussitôt. Hyun avait pris une bonne avance, qui savait où il avait pu se tirer…
*****
Les articles défilaient devant les yeux d’Adam, peu nombreux comparés au nombre d'impressions qu’il avait sorties pour Maldwyn le jour précédant. Cette fois-ci, il savait ce qu’il cherchait et, même si le sujet ne lui plaisait pas tant que ça, il pouvait ne chercher que ce qui l’intéressait vraiment.
Il affina encore sa recherche d’un mot-clé et réussit à avoir un article digne de son attention.
Il le lut avec soin, prenant bien tout en compte. Il y avait du bon à avoir accès aux rapports de police, il savait maintenant tout ce qu’il s’était passé dans cette maison…
Il suffisait de faire quelques recoupements avec les autres informations qu’on lui avait données et voilà, il avait résolu le problème. Il réunit ces renseignements dans un seul et même document et l’imprima.
Il s’empara de la feuille d’un geste sec et se leva de sa chaise confortable pour s’étirer. Ses épaules étaient raides et il n’aurait sûrement pas dit non à un massage – sauf si c’était Tristent qui lui proposait, juste par principe.
Il ouvrit la porte de son bureau et plissa les yeux face à la lumière du couloir. Il étouffa un bâillement et se dirigea vers l’ascenseur du fond. Il allait donner ça au Boss et irait ensuite faire un somme. Il avait besoin d’au moins deux heures de sommeil là, après tout ce boulot.
*****
Maldwyn s’était aventuré dans les petites rues, fouinant dans chaque recoin pour vérifier qu’il n’y avait pas une touffe de cheveux blancs qui se planquait. Le stress commençait à monter en lui et il chercha fébrilement une cigarette dans sa poche. Il jura en voyant qu’il ne lui restait plus qu’un petit cylindre noir dans le paquet mais il le prit et l’alluma sans aucune pitié. Il faudrait qu’il s’en rachète bientôt…
La nicotine emplissant ses poumons le calma légèrement mais il ne pouvait pas empêcher ses doigts de se crisper sur son Zippo et de l’ouvrir à intervalle régulier, le clac du couvercle se refermant créant un rythme rapide qui se calquait presque avec sa respiration. Il se concentra sur eux et les força à remettre le briquet dans sa poche et se mit à réfléchir. S’il prenait en compte l’esprit de Hyun, il n’avait aucune idée d’où le Coréen avait pu aller… Mais vu que ce n’était peut-être pas lui aux commandes, il pouvait peut-être deviner. L’esprit qui possédait Hyun faisait parti de ceux qui hantaient la maison qu’ils avaient exorcisée… Le plus simple serait peut-être de commencer par là.
Il allait vaillamment s’élancer à pied en direction de l’endroit-source de leurs ennuis quand il entendit un crissement de pneus et un bruit de tôle froissée venir de la rue juste derrière lui. Il se retourna vivement pour voir s’il y avait eu un accident mais il ne put observer qu’une voiture, emballée tel un cheval fou, foncer droit sur lui.
Par réflexe, il sauta sur le côté de la route, droit dans un tas de poubelles. Cela lui sauva la vie, la voiture s’arrêtant dans un fracas épouvantable pile poil à l’endroit où il se trouvait quelques secondes plus tôt.
Une petite tête en sortit, accompagnée d’un énorme sourire.
« Mald-niisan ! T’es là ! »
L’Américain se dégagea de son tas d’ordure, vira un truc gluant qu’il ne voulait pas identifier qui s’était installé dans ses cheveux et jura en sentant sa main glisser sur le sol quand il s’appuya dessus pour se redresser. Une main entra brusquement dans son champ de vision et il l’attrapa aussitôt pour se faire tirer debout presque sans aucun effort de sa part.
Une fois stable sur ses pieds, il regarda son assaillante ; Tristent semblait plus heureuse que jamais et sautillait en face de lui, un sourire allant d’une oreille à l’autre sur son visage.
« Depuis quand tu as ton permis ? » Demanda-t-il d’un air suspicieux en se débarrassant des derniers déchets qui ne voulaient pas se séparer de lui.
« Je ne l’ai pas, mais je sais conduire ! »
Maldwyn portant une main à son front en sentant une migraine arriver.
« Rassure-moi… Tu as décidé seule de venir, c’est pas le Vieux qui te l’a demandé, non ? »
« Bien sûr que si ! Il m’a même dit de faire vite ! »
Ses tempes lui firent encore plus mal quand il essaya de comprendre ce qui avait bien pu passer par l’esprit de Noland quand il avait envoyé la gamine ici en voiture.
« On a pas le temps de discuter comme ça. Il faut ramener Tristent à Phenomena et ensuite chercher Hyun. »
Maldwyn sursauta en entendant la nouvelle voix. Il ne pensait pas l’entendre à l’extérieur un jour.
« Belette ?! » S’exclama-t-il, on ne peut plus surpris. « Tu survis à l’extérieur de ton bureau ?! »
Adam grogna en face de lui, le bras posé sur la portière encore ouverte.
« Très drôle, mais dépêchez-vous plutôt de retourner dans cette vieille carcasse, on a pas que ça à faire, je viens de vous dire. »
Maldwyn agit aussitôt, se précipitant vers la place du conducteur pour ne pas laisser Tristent recommencer ses actions kamikazes.
« Tu peux me dire ce qu’il se passe ? » Demanda-t-il finalement une fois le moteur lancé et la voiture se dirigeant vers leur société, Tristent accrochée à l’arrière du siège passager où se trouvait Adam.
« J’ai un moyen de retrouver Hyun mais Noland a encore besoin de Tristent. Je sais pas conduire alors elle a du m’emmener. »
Maldwyn lança un regard en coin au gamin. Ca ne l’étonnait même pas qu’il ne sache pas conduire… Mais qu’il ait accepté de se laisser emmener par Tristent, ça, il avait du mal à le concevoir.
« Usagi ou Artémis ne pouvaient pas te conduire ? »
« ‘Sont occupés… »
« Attis ? »
« Il refuse de sortir de son labo pour une raison pareille. » Lui apprit Tristent. « Semblerait qu’il soit sur une recherche importante ! Mais t’en fais pas, Maldy, j’ai presque fini d’apprendre ce que Noland veut que je sache ! »
« Et qu’est-ce qu’il veut que tu saches ? » Répliqua-t-il en fronçant des sourcils.
« C’est secret ! »
Le ton qu’elle utilisait était si spécifique qu’il pouvait presque voir le petit cœur qui ponctuait sa phrase.
« Okay… »
Il les conduisit alors de façon rapide mais beaucoup plus sûre à leur société, leur expliquant au passage ce qu’il s’était passé dans le bar.
« Princesse, je te fais confiance, tu le sais hein ? »
« Bien entendu Mald-nii. Et je vais te prouver que tu as bien raison de le faire ! »
Il échangea une poignée de main avec sa sœur d’adoption, ils n’avaient pas besoin de plus de mots pour se comprendre. La jeune femme se dirigea en trottinant vers le grand bâtiment et les deux hommes reprirent leur route.
« Alors, c’est quoi ton moyen pour le retrouver ? »
« S’il a son portable allumé, je peux le retrouver n’importe où. »
« Eh ? »
« Trop compliqué à t’expliquer, tu comprendrais pas. T’as juste à savoir que je peux le faire et qu’il se trouve pas si loin que ça. Tourne à gauche là. »
Maldwyn décida que ça ne lui servirait à rien d’en savoir plus. Il allait faire confiance à Adam et à la petite machine rectangulaire qu’il tenait dans ses mains, où un petit point rouge clignotait au milieu de l’écran. Le seul problème était qu’il ne savait toujours pas ce qu’il pourrait faire pour aider Hyun quand il le retrouverait…
*****
« Je peux savoir pourquoi j’ai du t’accompagner ? » Demanda Artémis l’air de rien en entrant dans une nouvelle pièce poussiéreuse.
« Parce que Nounours a décidé que c’était trop dangereux tout seul ? » Répondit son coéquipier en sortant la tête de l’armoire qu’il venait de fouiller.
« Tu y étais pourtant allé seul la première fois… »
« Mais on savait pas qu’y’avait des esprits possédeurs la première fois… »
« Bah, tes esprits, j’en ai pas vu un seul. »
« Normal, t’arrive pas à les voir déjà en temps normal. »
« Toi non plus. »
« ‘Témis… tu sais que je t’aime et tout ça… Mais aide-moi à fouiller au lieu de déblatérer des choses qu’on sait déjà. »
Il accompagna son conseil d’un baiser soufflé et ouvrit un nouveau tiroir pour en fouiller l’intérieur. Leur mission était de trouver des preuves de l’identité des occupants. Pas facile après le passage de la Police.
Mais Artémis poussa alors un petit sifflement en voyant ce qu’il venait de trouver dans un des tiroirs.
« Regarde-moi ça. »
Usagi le rejoignit en sautillant et s’appuya sur son épaule pour regarder par-dessus.
« Et bien voilà, on a trouvé ! »
Ils allaient pouvoir rentrer retrouver les autres maintenant, comme Noland leur avait demandé. Ils pouvaient être fiers d’eux, un livret de famille, ils n’auraient pas pu faire mieux niveau identité.
*****
La course après Hyun les avait conduits dans un quartier résidentiel. Maldwyn se dit qu’il n’était vraiment pas mauvais quand il reconnu le voisinage de la ‘maison hantée’. L’esprit semblait vraiment essayer de retourner vers un lieu connu.
Ils étaient descendus de la voiture, les rues n’étant maintenant plus l’idéal pour le retrouver. Adam était devant lui, son dispositif à la main, le regard fixé dessus.
« Eh, Belette, si tu regardes pas où tu mets les pieds, tu vas te casser la gueule. »
« Ta gueule, j’ai pas besoin de ton avis. »
Un trébuchement plus tard et Maldwyn était prêt à exploser de rire malgré la situation. Pourtant, l’informaticien ne semblait pas vouloir quitter son écran des yeux. Peut-être que ça le rassurait alors qu’il était si à découvert à l’extérieur.
« Là ! »
Le cri du blond sortit Maldwyn de ses pensées qui se recentrèrent toutes sur Hyun. Il leva les yeux vers le bâtiment en face de lui et fronça les sourcils.
« Eh ? »
Il avait une preuve de plus que Hyun n’était pas au contrôle de son corps. Jamais il ne serait rentré dans un asile psychiatrique de lui-même si c’était le cas.
*****
Ses pas étaient lents et peu assurés, sa main était fortement appuyée contre le mur, soutien indispensable pour ne pas tomber. Les murs trop blancs lui agressaient les pupilles, le forçant à garder les yeux fortement fermés.
« Fous-moi la paix ! »
« Arrête de résister ! Tu n’as pas le droit de résister ! Je contrôle ton corps maintenant, tu es à moi ! »
Des visions passèrent en boucle devant ses yeux.
Une main trop pâle, une marre de sang, cette douleur qui lui traversait le corps et le cœur. Des chairs ensanglantées, un hurlement – peut-être même le sien.
Une nouvelle douleur envahit son visage, plus vraie, plus douloureuse encore. Son poing s’était écrasé sur sa propre joue, dans un craquement trop sonore pour être anodin. Du sang s’écoula subitement de ses narines, inondant son menton et sa chemise, se noyant dans le noir de celle-ci. La douleur obscurcit légèrement son esprit mais celui-ci lui sembla soudainement plus clair.
Jusqu’à ce qu’un autre cri retentisse. Beaucoup plus aigu, il l’alarma quand il n’en trouva pas la source en lui. Un regard aux alentours lui apprit qu’une infirmière l’avait vu et partait en courant, vraisemblablement pour appeler la sécurité.
Il allait faire demi-tour quand un hurlement lui ôta toute force dans les jambes. Celui-là venait directement de son esprit et agit sur lui comme jamais, le clouant au sol.
« Parasite… » Grogna-t-il en donnant un coup de poing dans le sol.
« Tu es à moi ! »
La voix qui s’échappait de ses lèvres était bien différente de la sienne, plus aiguë, plus jeune. Il sentit son corps essayer de se redresser et il ne combattit pas le mouvement, bien au contraire, il l’accompagna mais ne se tourna pas comme l’autre esprit le souhaitait, il resta fixé vers la porte par laquelle il était entré et essaya d’avancer.
« Non, on reste ! Je ne peux pas partir sans l’avoir vu ! »
« Va. Te. Faire. Foutre. »
Chaque mot accompagnait un de ses pas, témoignages de sa reprise de pouvoir sur son propre corps. Son bras s’enroula autour de lui-même, comme pour le retenir sur place.
« Je veux le voir ! »
Il répondit d’un grognement et fit un pas de plus.
« Arrête-toi ! » Hurla une voix derrière lui.
Un grand type habillé d’un uniforme de garde courut vers lui et s’arrêta à quelques mètres, les mains levées pour lui prouver ses intentions pacifiques.
Hyun lui lança un regard noir et l’ignora en se tournant à nouveau vers la porte. Sa bouche s’ouvrit et un long cri en sortit, gémissement presque pitoyable. Le garde s’approchait un peu plus, prêt à se jeter sur lui, quand le cri changea et se transforma en hurlement de rage.
Les images se jetaient à nouveau contre ses pupilles, images de sang, de désespoir, de douleur…
Il se jeta contre le mur, fermant fortement les paupières, inutilement vu que tout provenait du plus profond de son propre esprit. Des mains se refermèrent autour de ses bras, il les repoussa violemment et retira ses armes de leurs étuis pour les pointer sur le garde.
Il rouvrit les yeux pour voir la réaction de celui-ci et bloqua.
Devant lui, comme entourée d’un halo de lumière, une jeune fille le regardait de ses grands yeux noirs. Ses longs cheveux blancs encadraient son visage fin où quelques dernières rondeurs enfantines témoignaient de son âge à la limite de l’adolescence.
« Grand-frère… »
Elle fit un pas vers lui et leva une main fine, une main dépourvue de sang, une main vivante et dont il pouvait se rappeler la douceur.
« Miyong… » Murmura-t-il de façon à peine audible.
Il ne voulait pas y croire, elle ne pouvait pas être devant lui en ce moment même… C’était tout simplement impossible…
Elle fit un nouveau pas et sa robe fine voleta doucement autour d’elle. Tout aussi blanc que sa peau, le tissu la rendait encore plus irréelle, tel le fantôme qu’elle devait être.
« Grand-frère… » Répéta-t-elle de sa voix douce.
Un engrenage cliqua dans l’esprit de Hyun. Miyong ne pouvait pas être là. Sa sœur était morte. Par sa faute.
Et elle n’a jamais su parler japonais.
Ses armes toujours pointées devant lui, il n’hésita pas une seconde de plus. Une balle dans la jambe, l’autre dans l’épaule, Miyong disparut aussitôt, remplacée par la silhouette plus massive du garde qui s’écroula.
« Salopard… » Grogna-t-il envers son ennemi invisible.
Les coups de feu attirèrent bien entendu plus de gens, ce qui valait mieux pour le garde blessé que des médecins purent prendre en charge aussitôt. Deux autres agents de sécurité avaient été également rameutés et essayaient de maintenir le calme tout en le surveillant.
« Tu ne devais pas être aussi fort ! C’était ta sœur ! Pourquoi tu l’as attaquée ?! » S’exclama-t-il soudainement.
« Ta gueule ! » Se répondit-il en se tenant la tête entre les mains, sans lâcher ses armes.
Un médecin se détacha du lot et le détailla du regard d’un air intrigué.
« Tu étais faible, faible ! Je suis plus fort que toi, c’est pour ça que je suis là ! »
« TA. GUEULE ! »
Un garde essaya de retenir le docteur en arrière mais celui-ci lui fit signe de le laisser. Il s’avança encore un peu plus vers Hyun qui le pointa aussitôt de ses flingues.
« Sayori ? »
« Yamanaka-sensei ! »
Le désespoir de sa voix contrastait grandement avec son expression fermée.
« Yamanaka-sensei ! Aidez-moi ! »
« Je ne sais pas qui t’es mais si tu t’approches, je te flingue. »
Le médecin s’arrêta net et sembla étudier la situation. Mais il n’eut pas le temps de lui trouver une solution. La porte de verre de l’entrée avait explosé et le temps que tout le monde se protège des éclats volants vers l’intérieur, deux personnes étaient entrées et le docteur Yamanaka fut assommé d’un coup sec sur la nuque.
Les gardes réagirent aussitôt alors que les autres médecins et infirmières fuyaient vers l’intérieur du bâtiment. L’un des agents sortit un bâton qui ne resta pas longtemps dans sa main – une autre présence l’avait attrapé et s’en servit pour l’assommer également. Un quatrième homme sortit de l’ombre pour attaquer l’autre des gardes, le mettant K.O. après quelques échanges.
Hyun lança un regard blasé aux nouveaux arrivants alors qu’un gémissement plaintif sortit de sa bouche.
*****
Maldwyn avait pu voir ce qu’il se passait à travers la porte vitrée et il savait qu’une entrée normale ne ferait qu’aggraver les choses. Vu l’état où en était la situation, il devait agir fort, et vite.
Il lança un regard à Adam qui ne semblait pas décidé à l’aider et prit sa décision. Il attrapa un rocher de la décoration entourant le bâtiment et le jeta dans une vitre, la faisant exploser sous le choc. Sans attendre que la surprise retombe, il se jeta à travers les bouts de verre et attaqua celui qui se trouvait le plus proche de Hyun.
Il allait s’occuper des autres quand il entendit le bruit de corps tomber à terre. Un regard en arrière lui appris qu’Usagi et Artémis les avaient rejoints. Il ne savait pas comment mais il faisait confiance à Noland pour les avoir prévenus. Artémis lui lança un document, que l’Américain attrapa par réflexe, avant de s’avancer un peu plus dans le couloir.
« On s’occupe du reste du bâtiment, occupe-toi de Hyun avant qu’on arrive plus à retenir les autres. »
Et ils le laissèrent en plant avec son coéquipier. Il jeta un coup d’œil aux papiers qu’Artémis lui avait lancé et, ne comprenant pas trop à quoi ils servaient, il les envoya à Adam pour avoir les mains libres. Il s’approcha ensuite de Hyun et lui tendit une main que le Coréen ignora superbement, son regard ne lâchant pas des yeux le corps du docteur aux pieds de Maldwyn.
« Yamanaka-sensei… » Gémit-il d’une voix totalement différente de la sienne.
« Semblerait qu’il soit réellement possédé. » Remarqua Adam d’un ton froid en rejoignant l’Américain.
« Ca, je le savais déjà. »
L’attention de Maldwyn était entièrement portée sur Hyun, il compléta son mouvement et posa sa main sur l’épaule de son coéquipier qui réagit à peine au contact.
« Hyun, réveille-toi. »
« Laisse-moi…. »
Le corps du Coréen se recroquevilla et avança la main vers le docteur.
« Yamana… » Commença-t-il à gémir.
Mais Maldwyn en eut assez de cette comédie et lui attrapa les épaules pour le secouer.
« Putain Hyun, t’es pathétique là ! »
« Laisse-moi ! »
Son coéquipier essaya de se dégager de son étreinte mais il tint bon et lui redressa le visage d’une main.
« Hyun, réveille-toi ! J’ai besoin de toi ! »
Les yeux noirs se posèrent sur lui, le regard doux.
« Tu devrais savoir ce que c’est d’aimer pourtant. »
La main du coréen s’avança lentement jusqu’à caresser le cache-œil avant de se poser sur la joue de Maldwyn en resta muet de stupéfaction. Il ne s’attendait pas à une réaction pareille, pas de la part de Hyun. Son esprit savait bien que ce n’était pas vraiment Hyun mais ce qu’il avait sous les yeux semblait si réel qu’il aurait aimé y croire.
Heureusement, le pragmatisme d’Adam frappa une nouvelle fois.
« Quand tu auras fini de le draguer, on pourra peut-être l’exorciser. »
Maldwyn se dégagea de la main contre son visage et s’éloigna légèrement, l’air furieux.
« Ce n’est pas comme ça que tu m’auras. »
Il ignora les commentaires peu glorieux de l’informaticien derrière lui et se redressa, joignit les mains et commença les prières qu’il connaissait en espérant que ça marcherait. Il en aurait croisé les doigts si ceux-ci ne faisaient pas entièrement partie du processus.
*****
Adam s’éloigna à une distance jugée sûre et observa ce qu’il se passait d’un œil critique. Le charabia que Maldwyn leur sortait ne semblait pas très efficace vu le rire qui s’empara de Hyun. C’était étrange de voir le Coréen rire ainsi, il était plus habitué à le voir faire la gueule. En tout cas, ça ne lui allait pas du tout. Enfin, c’était surtout cette voix aiguë qui ne lui allait pas.
Il regarda autour de lui, légèrement ennuyé – Maldwyn allait perdre et il ne pouvait rien y changer, il serait mieux devant son ordinateur que là à s’emmerder, et se décida à regarder le document qui lui avait été lancé. Un livret de famille… Mouais. Il l’ouvrit et le feuilleta, n’y remarquant rien de spécial, jusqu’à tomber sur une page où un nom attira son attention.
En face, Hyun s’était finalement levé et semblait prêt à frapper Maldwyn. Adam les ignora à nouveau et se concentra sur la page qu’il lit et retint dans les moindres détails. S’il ne se trompait pas, cela pourrait aider.
Ceci fait, il se désintéressa complètement de la bagarre qui se déroulait non loin de lui et regarda vers l’extérieur, entre les restes de la porte vitrée, pour se changer les idées et penser au nouveau jeu online qu’il avait réussi à craquer. Il cligna des yeux quand quelque chose entra dans son champ de vision. Un mouvement de recul instinctif s’empara de lui quand il reconnut la silhouette qui s’avançait vers le bâtiment. Il savait que Tristent devait les rejoindre plus tard mais ça ne changeait pas le fait qu’il aurait préféré ne pas la voir.
Il la vit hésiter à l’entrée avec sur le visage un air légèrement apeuré qu’il était rare de voir chez elle. Jusqu’à ce qu’elle voit Hyun et Maldwyn. Un sourire grandit sur ses lèvres jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’ils se battaient. Elle entra dans le bâtiment en courant, passa en coup de vent devant Adam, qui fut légèrement soulagé de ne pas être le centre de son attention pour une fois, et sépara les deux opposants.
L’informaticien reporta donc son attention sur le groupe. Pas que ça l’intéresse au plus haut point mais Tristent était parmi eux…
*****
L’être en Hyun avait fini par décider que la violence serait peut-être la meilleure solution pour être en paix et Maldwyn le détesta pour ça. Il voyait bien que Hyun n’était pas au meilleur point, vu le sang qui le maculait, et il ne tenait pas à l’abîmer plus que ça. Si c’était vraiment Hyun, il n’aurait pas hésité à lui foutre une bonne droite pour le calmer mais là, le Coréen n’y était pour rien. Il maudit une fois de plus cet esprit qui avait osé s’en prendre à Hyun et para un nouveau coup.
Même dans la force des assauts, il pouvait sentir la différence. Etrangement, l’esprit avait plus de considération que Hyun envers son propre corps. Les coups étaient moins sauvages, faits pour ne pas blesser son enveloppe corporelle, au contraire de Hyun qui avait des tendances kamikazes.
Il lui fallait s’habituer à un tout autre style de combat, ce qui lui prit quelques instants où ses défenses n’étaient pas aussi bonnes que d’habitude. Heureusement, son adversaire ne sut pas profiter de ses faiblesses, ce qui apprit à Maldwyn que ce n’était sûrement pas un combattant.
Il allait enfin lui porter un coup quand une silhouette les sépara. Il sourit en reconnaissant Tristent mais garda sa pose de combat, prêt à la protéger de l’imposteur au cas où – même s’il savait qu’elle pouvait très bien se débrouiller toute seule, le syndrome du chevalier servant était parfois profondément ancré en lui.
« Trist’, qu’est-ce que tu fais là ?! »
« Je viens exposer mon secret ! » S’exclama la jeune fille en sautillant sous les yeux écarquillés du possédé.
Et sans autre introduction, elle sortit une petite croix de son corsage et commença à psalmodier des formules dont Maldwyn n’avait jamais entendu parler. Il crut reconnaitre du français dans ses phrases mais vu le débit de parole de la jeune fille, il ne pouvait pas en être sûr.
Sachant qu’il ne pouvait rien faire pour aider Tristent, il observa la réaction de Hyun à ses paroles et ne sut s’il devait être heureux en voyant le Coréen se tenir la tête avec une expression de souffrance absolue.
Il sentit une main se poser sur une épaule et se retint juste à temps de donner un coup de coude à son agresseur. Adam le regarda sans broncher, peut-être même pas conscient du réflexe contrôlé par Maldwyn. Bizarrement, la prise sur son épaule était ferme et l’Américain se laissa entraîner en arrière sans rien dire, légèrement pris de court par ce comportement inhabituel chez Adam. Il faut dire qu’il avait été si peu souvent en mission avec l’informaticien qu’il n’avait aucune idée de son comportement sur le terrain. Tout ce qu’il se faisait comme idée de lui était basé sur les rares visites qu’il avait faites dans son bureau.
Quand ils furent assez éloignés pour ne pas se prendre un coup perdu, Maldwyn lança à Adam un regard intrigué. Mais son attention fut vite de nouveau attirée par la scène devant eux. Hyun s’était rapproché de Tristent et avait réussi à poser ses mains sur ses épaules mais la douleur qu’il ressentait semblait si forte qu’il ne pouvait rien faire d’autre que se servir d’elle comme appui pour rester difficilement debout.
Tristent ne semblait absolument pas gênée de cette proximité. L’expression de son visage était plus concentrée que jamais, Maldwyn ne l’avait vu ainsi qu’en de rares occasions. Soudain, ses paroles stoppèrent et elle se contenta de le regarder droit dans les yeux.
« Donne-moi ton nom. »
« Va chier, salope ! »
La jeune fille ne parut absolument pas en être vexée et continua à le fixer, immobile.
« Donne-moi ton nom, s’il te plaît. »
« Fous-moi la paix !!! »
Hyun sembla vouloir s’éloigner d’elle mais il ne put se détacher d’elle, ses mains étaient comme collées aux épaules de son exorciste.
Maldwyn se souvint alors de ce qu’il s’était passé peu avant et se mit à crier.
« Sayori ! Il s’appelle Sayori ! »
Sa petite sœur d’adoption eut un grand sourire mais ne quitta pas Hyun des yeux.
« Donne-moi ton nom de famille maintenant, Sayori. »
La force contenue dans le prénom plia le corps du Coréen en deux. C’est haletant qu’il se redressa, la haine dans son regard était au maximum.
« Tu ne le sauras jamais, pouffiasse ! Ce corps est à moi maintenant ! Jamais tu ne pourras me sortir d’ici ! »
« TA GUEULE !!! »
Le silence retomba après cet éclat de voix. Hyun avait parlé. Le visage de Maldwyn se fendit d’un sourire rayonnant, Hyun était toujours là et continuait le combat de l’intérieur. Il aurait dû s’en douter vu l’opiniâtreté de son partenaire mais il n’avait pu s’empêcher de craindre le pire. Mais l’espoir refleurit en lui comme jamais. Hyun était là et Tristent utilisait ses pouvoirs au maximum, ils allaient virer cette saloperie d’esprit squatteur !
*****
Hyun s’était retrouvé dans les rues de sa ville natale, son école primaire en face de lui. Il regarda autour de lui sans trop comprendre mais se mit bien vite à râler. Ca devait encore être un sale coup de la part de l’enfoiré qui essayait d’avoir son corps.
Il parcourut les rues, refoulant la nostalgie qui essayait de s’emparer de lui. Il ne regrettait pas sa ville, il ne regrettait pas la Corée. Il n’avait plus rien à y faire. Les rues se brouillèrent autour de lui et un nouveau lieu apparut en face de lui. La ruelle, la fameuse ruelle où sa sœur avait vu la mort. Il fit demi-tour et reprit sa marche. Sa vision se brouilla à nouveau et la ruelle réapparut juste en face de lui.
Hyun n’était pas connu pour sa patience, voire même il était reconnu pour son impulsivité. Cette situation lui porta vite sur les nerfs et il donna un coup de poing dans le mur proche de lui. C’est alors qu’il se rendit compte qu’il ne portait pas les blessures qu’il s’était faites dans le monde ‘réel’. Ca ne l’avançait pas à grand-chose, vu qu’il ne sentait de toutes façons pas la douleur de son véritable corps en ce moment même, mais il savait d’avance qu’il allait dérouiller quand il reprendrait le contrôle.
Car il allait reprendre le contrôle, vraiment. Ce n’était même pas une hypothèse.
Il regarda droit devant lui et vit à nouveau la ruelle. Un sourire tordu naquit sur ses lèvres. Il n’était pas faible. Il ne supportait pas de se rappeler de tout ça mais il n’était pas faible.
Il s’avança, d’un pas ferme, jusqu’à arriver au coin de l’immeuble. La main était là. Ensanglantée.
Il n’y avait pas les rubans jaunes de police qu’il avait vus le soir terrible, il n’y avait personne d’autre dans la ruelle. Pas de policiers pour le retenir, pas d’ambulanciers pour s’occuper du corps, pas de badauds qu’il aurait eu envie de massacrer si on l’avait laissé faire.
Il s’avança lentement, jusqu’à ce qu’elle soit en vue et stoppa. Il la vit allongée au sol, aussi belle que morte. Il n’avait jamais vu l’état de son corps, il n’avait pu qu’imaginer les blessures qu’elle avait subites. Il n’était pas resté assez longtemps ensuite pour qu’on les lui décrive. Ce qu’il avait sous les yeux était loin du pire qu’il avait imaginé. Cela lui semblait si irréel. Car il avait vu le sang. Le fluide rouge qui s’était mêlé à l’eau du caniveau et qui avait coulé jusqu’à lui. Ces blessures ne pouvaient pas avoir été celles de sa sœur. Elles n’étaient pas bénignes mais il savait que ce n’était pas ça. Que ça ne pouvait pas être ça.
Il se demanda donc d’où ces blessures venaient. Et il ne trouva qu’une réponse. Si ça ne venait pas de ses souvenirs, ça ne pouvait venir que d’une autre source. Le squatteur.
Toutes ces conneries de trucs mentaux commençaient à le lourder mais il tenait enfin une piste contre l’autre. Il ferma les yeux et se concentra. Il savait très bien qu’il n’avait pas de pouvoirs mentaux comme les autres ‘monstres’ de leur équipe mais bon, il pouvait toujours essayer. La volonté ne payait pas toujours mais très souvent.
Il visualisa les blessures, juste les blessures, il fit de son mieux pour ne pas penser à sa sœur, pour laisser Miyong intacte dans son cœur, loin de ses coupures affreuses, parfaite comme elle l’a toujours été.
Les plaies semblèrent un instant flotter devant lui, presque luminescentes dans les noirceurs de son esprit. Et une image se superposa lentement à elle. D’abord très floue puis de plus en plus précise. Une salle, un salon… Un canapé rouge, trop rouge. Et un corps sur celui-ci.
Le décor autour de lui était entièrement transformé quand il rouvrit les yeux. Hyun reconnut la pièce où il se trouvait, il ne l’avait que peu visité mais il se souvenait y avoir détruit un vase. C’était la maison d’où provenait l’âme qui le hantait.
Il tomba subitement à genoux et ne put plus bouger. La tête baissée, il ne put rien voir d’autre que ses mains qu’il ne reconnut pas. Plus petites mais plus charnues, elles semblaient plus jeunes que les siennes. Il releva enfin le visage et son regard tomba à nouveau sur le corps de la femme allongée sur le canapé. Il sentit alors les larmes couler de ses yeux et renifla bruyamment avant de se relever. Il se détourna du corps, sachant qu’il ne pouvait rien y faire, et s’avança vers le salon. Il ferma à nouveau les yeux comme pour renier ce qu’il venait d’y voir et fit de nouveaux pas branlants vers l’escalier. Les mains tendues devant lui pour pouvoir se guider sans ouvrir les yeux, il se concentrait pour oublier qu’il venait de voir les corps de ses sœurs découpés sur la table de la salle à manger.
Il savait qu’il aurait du regarder, par respect pour les femmes de sa famille, mais il ne pouvait pas, il sentait déjà son petit déjeuner non loin de ses lèvres, prêt à sortir dès qu’il verrait à nouveau le sang qui maculaient les murs. Il entrouvrit les paupières et continua son chemin. Il aurait pu décrocher le téléphone et appeler la police, les secours, n’importe quoi qui aurait pu le sortir de cet enfer mais il ne pouvait s’y résoudre. Pas tout de suite. Il devait d’abord savoir ce qu’il en était de Lui. Du Chef de famille, de son Père. De l’être qu’il détestait le plus. Il arriva à la cage d’escalier et les monta lentement, bénissant le jour où son père avait fait installer de la moquette sur ceux-ci, empêchant les grincements sinistres qu’ils faisaient auparavant à chaque pas.
Il s’arrêta une fois en haut. Il pouvait entendre du bruit. Et vu la violence des coups qu’il pouvait entendre, l’être qui les produisait était en vie. Il hésita. Soit le meurtrier de sa famille était en train de tuer son père, soit le meurtrier était son père… Et connaissant son géniteur, il ne pouvait parier sur laquelle des solutions était la plus plausible… Bizarrement, le son venait de sa chambre, ceci le troubla légèrement. Il ne comprenait pas ce que qui que ce soit pouvait y faire à part lui-même.
A pas de loups, il alla jusqu’à sa porte et se pencha pour observer ce qu’il s’y passait. Il savait que la curiosité pouvait se révéler mortelle, surtout quand il y avait déjà trois cadavres dans la maison mais c’était plus fort que lui, il devait savoir. Surtout que la colère montait doucement mais sûrement en lui à l’idée de savoir son sanctuaire bafoué par la présence maléfique de celui qui s’y trouvait actuellement.
Il s’attendait à ne pas voir quelque chose de joli-joli mais ce qu’il aperçut aviva encore plus sa colère. Son père était ici, couvert de sang mais semblant indemne. Armé d’une hache, il attaquait violemment les meubles soigneusement peints en noirs, les réduisant facilement à du bois de chauffage.
« C’est de sa faute ! Uniquement de sa faute ! C’est à cause de lui que j’en suis arrivé là ! A cause de lui ! Ce fils du diable ! »
Derrière la porte entrouverte, son fils le regardait détruire sa chambre sans dire un mot, la colère coincée dans sa gorge le rendant muet. Il n’hésita plus un instant et se mit à courir vers la chambre de ses parents, la moquette épaisse étouffant le bruit de ses pas précipités – le père étant de toutes façons si occupé qu’il ne les entendrait pas.
Une fois dans la pièce, il ouvrit en grand une armoire et admira une seconde le râtelier contenant les fusils de son père. Un manquait à l’appel mais cela ne l’inquiétait pas – son père ne pouvait pas utiliser une hache et un fusil en même temps, il avait beau être fort, il restait un être humain. Il prit celui à côté du vide, son préféré. Son père avait essayé de lui apprendre à chasser comme lui-même le faisait souvent mais il n’avait jamais été très doué. Il avait par contre bien retenu comment armer et utiliser l’arme. Et ce fut sans aucun problème qu’il y inséra les balles et prépara l’arme à l’utilisation.
Ce fut d’un pas décidé qu’il retourna à sa chambre et visa la porte. Il tira, explosant le panneau de bois dont certains morceaux vinrent se ficher dans ses jambes, rompant son équilibre déjà rendu précaire par le recul de l’arme. Le bas de son dos percuta la rambarde de l’escalier derrière lui mais cela ne l’empêcha pas de lever à nouveau son arme et de la recharger pour viser la silhouette qui s’était tournée vers lui. Les yeux de son père se posèrent sur lui, plus fou que jamais. Il s’était déjà souvent fait frapper mais là, il le savait : si son père levait la main sur lui, ce serait pour le tuer.
Il tira une seconde fois. Le corps de l’homme vola en arrière et atterrit lourdement sur le coffre qui lui servait d’armoire. Il allait se redresser quand une nouvelle balle le toucha en pleine tête.
Son fils avait fermé les yeux pour ne pas voir le résultat. Le fusil lui glissa des doigts et tomba silencieusement sur la moquette. Le garçon se tourna pour prendre appui sur la rambarde et sentit ses mains trembler sous le choc d’avoir tué son géniteur. Il rouvrit les yeux et vit le sol tourner autour de lui, il les referma aussitôt mais même ainsi, il se sentait toujours mal. Un mal de tête fulgurant le prit et des nausées l’assaillirent. Il entendit à peine la porte se faire forcer en bas et des voix d’hommes se rapprocher. Le sol tournait encore autour de lui-même sans qu’il le voie et soudain, il ne sentit plus rien à part le vide. Il tombait et tombait sans aucun sol pour l’arrêter.
Puis la douleur vint et le monde retrouva ses couleurs et ses sons, trop vives, trop forts. Un visage apparut dans son champ de vision mais bizarrement il n’entendit pas la voix de celui-ci alors que les lèvres bougèrent. Le visage disparut comme il était arrivé et il vit la salle à manger derrière.
Il n’était plus à l’étage… Il sentit un goût métallique dans le fond de sa gorge et du sang remonta lentement qu’il dut cracher pour ne pas s’étouffer. Il n’avait pourtant pas été blessé…
Il regarda à nouveau devant lui et distingua le sang qui gouttait encore de la table. Un nuage blanc semblait flotter au dessus. Etait-ce l’âme de ses sœurs ? Comment pouvait-il les voir…
Les sons perdirent de leur force et il put en distinguer quelques uns. « Blessé… Escaliers… peu de chance… »
Il réalisa alors qu’il devait être tombé depuis la rambarde et qu’il allait mourir comme ça…
Pitoyablement. Il en aurait pleuré s’il pouvait encore contrôler la plupart de son corps. Il préféra fermer les yeux avec ses dernières forces et attendit la mort. Elle ne tarda pas à arriver mais elle n’empêcha pas tous ses regrets de s’accumuler pour une dernière fois : la perte de contact avec sa mère et ses sœurs alors qu’ils vivaient dans la même maison, son manque de réaction face à la violence de son père, son repliement sur lui-même, son amour à sens-unique pour le docteur Yamanaka…
Ses pensées tourbillonnèrent en son esprit, se mêlant les unes aux autres, perdant leur consistance, créant un brouhaha indistinct…
« TA GUEULE !!! »
*****
Tristent sourit grandement à l’éclat de voix, reconnaissant enfin Hyun dans l’être en face d’elle.
Elle ne put malheureusement pas entamer la conversation avec lui, sous peine de rompre le sort qu’elle avait commencé. Et vu la quantité d’énergie pour le maintenir, elle ne tenait pas à devoir le refaire.
« S’il te plaît, donne-moi ton nom. »
Voilà tout ce qu’elle pouvait dire. Une autre phrase aurait détruit le sort, elle ne pouvait maintenant que demander le nom de l’esprit, seule information qui lui manquait pour finir l’exorcisme.
« Hyun ? Tu sais le nom du mec ? » Demanda Maldwyn derrière elle.
Le Coréen grogna et fit une grimace douloureuse mais ne put répondre.
« J’arrive plus à lui parler directement. On dirait qu’il s’est replié sur lui-même… » Marmonna-t-il.
Tristent ne pouvait se retourner mais elle sentit un mouvement derrière elle et entendit Maldwyn pousser un petit cri de surprise.
« Eh ? »
« Page 7, milieu de la page. »
La voix d’Adam fit sourire un peu plus la jeune fille qui était on ne peut plus heureuse d’enfin le voir en dehors de son bureau. Elle savait que le jeune homme était très peu souvent sur le terrain mais elle restait persuadée qu’il pouvait y être très efficace, comme en ce moment même où il avait certainement trouvé la solution à leur problème.
Elle entendit un bruissement de feuilles et Maldwyn s’exclama :
« AHAH ! Il s’appelle Sayori Endô !!! C’est écrit dans le livret de famille ! »
Le sourire de Tristent s’agrandit un peu plus, même si cela ne semblait pas humainement possible, et elle put reprendre ses prières. Cela lui fit mal d’entendre Hyun hurler et de le voir se plier en deux en face d’elle mais elle ne le lâcha pas des yeux, gardant le contact visuel sur celui qu’elle voulait sauver.
Elle vit un brouillard blanc l’entourer peu à peu mais cela ne l’inquiétait pas, elle n’avait jamais exorcisé quelqu’un elle-même mais elle avait parfois vu son père le faire… La fumée blanche était même un bon signe. L’esprit qui s’était emparé de Hyun n’était pas mauvais. Elle se souvenait bien d’une fois où l’âme que son père avait retirée était d’un rouge profond, imprégnée d’un mal abyssal. Elle avait été très difficile à maintenir en contrôle mais son père avait réussi. Son père était un puissant exorciste, jusqu’à ce qu’il décide d’arrêter tout et de se consacrer uniquement à sa famille et à Dieu.
Elle prononça le dernier mot et le nuage exsuda brusquement de Hyun jusqu’à ne plus laisser qu’une vague vapeur autour du corps du Coréen qui tomba au sol.
« Mald-nii ! Tu peux t’occuper de lui ! »
Le regard de l’Américain était plongé dans le nuage blanc qui restait informe dans l’atmosphère, mais la voix de Tristent le réveilla. Il se précipita vers son coéquipier et le déplaça avec attention loin du nuage.
Sachant que Hyun était entre de bonnes mains, elle pouvait maintenant se concentrer sur les restes de l’âme qu’elle avait retirée du corps de son ami. Elle murmura quelques mots qui rendirent sa forme à l’esprit. C’était un jeune homme, d’à peu près son âge, qui la regardait à présent avec des yeux fatigués.
« Bonjour Sayori ! » Lui fit-elle avec un sourire.
Il la regarda d’un air sombre et ne répondit rien.
« Je sais, il y avait des moyens plus agréables de se rencontrer mais, eh, ce n’est pas moi qui ait possédé quelqu’un contre son gré. »
« Je n’ai pas demandé non plus à le posséder… » Marmonna l’adolescent fantomatique.
« Ah bon ? Mais qu’est-ce que… »
Elle ne put continuer sa phrase que des sirènes retentirent tout autour d’eux.
« Merde, on va se faire chopper ! »
« Par là ! »
Maldwyn avait pris Hyun à nouveau inconscient dans ses bras et fit signe à Tristent de suivre Adam qui leur ouvrait la route. L’Américain courut vers la sortie mais Tristent resta quelques secondes en arrière et sourit au fantôme à ses côtés avant de lui tendre la main.
« Tu viens ? »
*****
Maldwyn ne put retenir le sourire qui lui vint quand Hyun se réveilla quelques heures après qu’il l’ait allongé sur le canapé de leur salon et que ses premiers mots furent un juron bien sonore. Il était enfin redevenu lui-même.
Il le regarda se redresser tout seul, sachant bien que le Coréen n’apprécierait pas qu’il essaye de l’aider – même s’il crevait d’envie de le faire, et eut même un petit rire quand Hyun lui lança un regard noir, comme pour le prévenir de ne vraiment rien essayer.
« J’ai préparé des brocolis, tu en veux ? »
« Laisse-moi vomir. »
Le sourire de l’Américain se fit un peu plus grand.
« Un thé à la pêche, ça te plairait plus ? »
Un grognement indistinct mais qu’il interpréta comme plutôt positif lui répondit et Maldwyn se dirigea vers la cuisine. Il stoppa sur le seuil de la porte quand il crut voir une silhouette assise à la place fétiche du Coréen.
Il cligna de l’œil et il ne vit plus rien. Il devait avoir rêvé. Il n’avait pas de pouvoirs spéciaux, il le savait bien.
Mais il ne put empêcher un frisson glacé de lui parcourir le dos. Avait-il aussi rêvé le rire qu’il avait entendu ?
FIN DU CHAPITRE 4
Des insultes en coréen, une lourde porte qui claque. Il part sans se retourner, sans écouter les cris qui le rappellent. Il marche vite dans la rue, avec ses longues jambes d’adolescent. Il ne fait attention à rien, concentré sur sa colère.
Jusqu’à ce que son portable sonne… Pour une bien triste nouvelle.
« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHH !!!!!!!!!!!!! »
« Alors, c’est donc ça ton pire souvenir ? Eh eh eh ! Comment vas-tu supporter de le voir encore et encore et encore ? »
*****
La mission avait été éprouvante pour chacun d’entre eux, c’est pourquoi Maldwyn laissa Hyun dormir dans la voiture quand ils rentrèrent. Il était habitué à le soulever de la voiture à leur appart et à le déposer soit dans la chambre du coréen, soit dans le canapé, selon le niveau de sa propre fatigue. Ce jour là, ce fut le canapé et il s’affala sur le fauteuil en face.
Hyun grognait dans son sommeil ; il devait sûrement faire un cauchemar. Cela lui arrivait parfois et les seules fois où Maldwyn avait essayé de l’apaiser s'étaient soldées par des hurlements et des coups. Il avait donc décidé de le laisser cauchemarder en paix, cela lui évitait de se balader avec des bleus pendant une semaine ensuite.
L’Américain s’installa sur le bord du fauteuil et observa Hyun d’un œil fatigué. Son coéquipier rêvait-il de leur mission ?
Il était vrai qu’il y avait de quoi en faire des cauchemars, oui…
*****
La maison n’était pas différente de celles l’entourant. Si l’on excluait le jardin ayant connu des jours meilleurs, ainsi que les rubans jaunes scellant la porte d’entrée.
« Je l’aime déjà pas, cette mission. » Râla Maldwyn en devant enjamber un tas de ronces pour pouvoir accéder à la cour arrière.
« Ta gueule et avance. » Marmonna Hyun en réplique.
« Merci de ton conseil, je vais le prendre en considération dès que j’aurais réussi à traverser cette saloperie de buisson sans y perdre une jambe. »
« T’es vraiment trop nul, laisse-moi faire. »
Et sans aucune pitié, le Coréen poussa son coéquipier pour le faire passer plus vite. Ceci résulta en un joli roulé-boulé du borgne qui resta à terre le temps d’enlever toutes les épines qui s’étaient plantées dans son corps.
« Hyun, je vais te massacrer ! Dès que je pourrais me lever sans hurler… »
Il enleva une dernière épine de sa cuisse et se redressa en position assise en grimaçant, juste à temps pour voir Hyun traverser le buisson sans se soucier des ronces qui semblaient pourtant bien le planter. Le Coréen se dressa devant lui et lui lança un regard noir.
« Alors, tu bouges ton cul ? Plus vite on commencera, plus vite ça sera fini. » Grogna-t-il en lui donnant un coup de pied pour qu’il se dépêche.
« Tu sais quoi ? Je me demande de plus en plus souvent si t’es vraiment humain… » Répondit Maldwyn en repoussant le pied d’un air habitué.
« Je suis aussi humain que t’es con, ça veut dire beaucoup. »
« Ahah, très drôle… » Fit-il d’un air sarcastique en se relevant enfin.
L’Américain regarda l’arrière de la maison et soupira une nouvelle fois. Il ne voulait pas participer à cette mission, les fantômes, c’était pas son truc. C’était celui de Tristent, pas le sien, vraiment. Il avait quelques notions mais bon, il ne connaissait que les bases, apprises grâce à quelques anciennes connaissances. Et Hyun était encore moins compétent que lui dans ce cas.
Mais le Grand Chef en avait décidé ainsi et lui avait dit que ça suffirait. Papy avait même précisé que le niveau de possession de l’habitation était assez faible pour que Maldwyn s’en occupe. Usagi, qui avait participé à la première mission de découverte de la maison lui avait dit que lui-même n’avait rien vu de particulier, si ce n’était une impression étrange et quelques meubles volant à travers la pièce ; rien de très dangereux. Tristent lui avait également donné quelques conseils par mail mais ça ne l’avait pas rassuré le moins du monde. Le message était écrit à peu près en ces mots : « Don’t worry Big Bro’ ! Si t’as pas peur, ils auront pas peur non plus ! »
Il n’était pas vraiment sûr de ce qu’elle avait voulu dire par là et ne tenait pas tant que ça à le savoir. Tristent était des plus mystérieuses parfois, sans même le vouloir.
« Alors, t’attends quoi ? Le dégel ?! »
Hyun s’était déjà avancé jusqu’à la porte arrière et semblait prêt à l’ouvrir, l’attendant uniquement par habitude. Le Coréen était connu pour son caractère vif et intransigeant, ce n’était pas quelques fantômes qui l’effrayaient… Au contraire, Maldwyn pouvait presque sentir son empressement à l’idée de les détruire.
« J’arrive, j’arrive. »
Il prit quand même le temps de se mettre un masque sur la bouche ; il ne connaissait pas l’état de l’intérieur de la maison mais il ne voulait pas risquer une crise à cause de la poussière, ça ferait tâche au beau milieu d’une mission. Il examina ensuite la porte d’un œil circonspect mais Hyun n’eut aucun mal à l’ouvrir ; Usagi l’avait déverrouillée lors de son précédent passage.
Ils entrèrent doucement dans la maison, tombant sur une cuisine qui aurait été des plus agréables à vivre si ce n’était la couche de poussière qui s’y était installée. Maldwyn fit de son mieux pour retenir une attaque de toux, essayant de se persuader que ce n’était que psychologique. Il toussa quand même deux, trois fois avant d’essayer de se focaliser sur autre chose que les nuages de poussière qu’ils soulevaient à chacun de leurs mouvements.
Les traces de pas de l’autre borgne de l’agence étaient encore légèrement visibles dans la couche grise qui recouvrait le sol mais Hyun n’y fit pas attention, il était déjà bien trop occupé à surveiller devant lui, une arme à la main, prêt à tirer sur le premier événement surnaturel venu.
Maldwyn soupira ; son coéquipier aurait du savoir à force que les fantômes étaient immatériels et que les balles ne leur faisaient rien mais c’était plus fort que lui. Hyun se reposait autant sur ses armes que Maldwyn se reposait sur l’humour pour ne pas craquer.
Maldwyn le suivit lentement, le regard plus concentré sur les détails du décor que sur l’action – il faisait confiance à Hyun pour s’occuper de ça, à la recherche d’indices sur ce qu’ils pourraient faire pour apaiser ces esprits.
Ils traversèrent la cuisine sans encombre – à part le fait de se sentir parfaitement ridicule à prendre autant de précautions dans une maison vide, et arrivèrent dans un salon.
Rien à signaler ici non plus, ils en firent donc rapidement le tour jusqu’à ce qu’une chaise ne se mette à trembler. Le premier réflexe de Hyun fut, bien entendu, de tirer sur ce qui bougeait, ce qui résulta en l’explosion pure et simple du dossier de la chaise qui continua à trembler comme si de rien n’était.
Une injure en coréen suivie de nouveaux tirs et la chaise n’eut plus rien à trembler.
Maldwyn ne fit pas un commentaire sur les manières de faire de son coéquipier, il le connaissait bien trop pour ça – même si ce n’était pas l’envie qui lui en manquait, et se concentra sur les paroles consacrées à l’exorcisme. Il avait du enlever son masque pour être sûr de bien prononcer et devait ignorer la sensation de picotement qui lui titillait les narines. Il maudit mentalement la personne qui les lui avait apprises, sans ça, il n’aurait jamais été assigné à ce genre de mission.
Hyun semblait sur le qui-vive, prêt à tirer sur tout ce qui pourrait encore bouger, ce qui ne manqua pas quand le chandelier posé au milieu de la petite table commença à se soulever légèrement. Les balles ricochèrent sur le métal solide mais ne les touchèrent heureusement pas. Ce fut une chance pour Maldwyn qui pouvait à présent localiser au mieux l’esprit sans le voir et se concentrer assez pour l’exorciser.
Quand il prononça le dernier mot de la prière, ils entendirent clairement un hurlement, de douleur ou de rage, ils ne surent pas trop, mais la présence avait ensuite disparu, sûrement envolée vers de meilleurs cieux.
« Ouf… » S’autorisa l’Américain en se sentant subitement plus léger, ce qui fut rapidement suivit d’un éternuement.
Hyun lui lança un regard en coin, indéchiffrable, avant de reprendre son chemin vers le reste de la maison. Maldwyn prit le temps de se moucher et de remettre son masque avant de le suivre. Il y avait quatre ou cinq esprits dans l’habitation selon le Vieux. Le Papy n’en était pas sûr, les dossiers ne se correspondaient pas tous. Maldwyn avait tendance à croire que les missions les moins bien préparées étaient toujours bizarrement pour leur poire. Il ne voulait pas croire que Papy le faisait exprès mais il avait de plus en plus de mal à penser ainsi quand il pensait aux séries de merdes qui leur arrivaient le plus souvent.
Il rejoignit Hyun dans ce qui se révéla être la salle à manger et ne fut pas étonné de le voir tirer sur un vase qui se précipitait vers eux. La porcelaine fragile vola bien entendu en éclats qui se fichèrent un peu partout – mais heureusement pas sur eux.
Maldwyn fronça des sourcils ; Usagi ne leur avait pas parlé d’autant de violence… Mais le connaissant, il avait peut-être minimisé les faits. Et son sacro-saint sourire rendait toujours tout beaucoup moins important que ça ne l’était vraiment. Maldwyn jura contre lui-même et se promit de ne plus se faire prendre au jeu la prochaine fois et de demander des détails concrets sur les missions à venir.
Il resta à nouveau un peu en arrière et essaya de se concentrer sur l’endroit où il pensait que le nouvel esprit se trouvait. Hyun se battait toujours contre la présence invisible, ce qui ressemblait plus à un jeu de tir sur tous les objets volants dans la pièce. Une assiette arriva subitement depuis l’armoire à vaisselle révélant la présence d’un autre esprit, ou signalant que celui-ci était assez puissant pour ça… Ce qui n’était pas bon signe dans un cas comme dans l’autre.
Maldwyn l’évita de justesse et se déplaça pour se mettre dos à un mur, de façon à voir tout l’intérieur de la pièce et pouvoir se concentrer sans craindre une attaque par derrière. Exorciser ainsi un esprit était ce qu’il détestait le plus dans ce métier. C’était long et ça demandait beaucoup de concentration – la moindre erreur dans un seul mot et tout était à recommencer… si quelque chose de pire n’arrivait pas à cause du sort corrompu.
Donc il ferma les yeux et murmura les mots nécessaires. Il préférait le faire discrètement, loin des bravades et des cris que l’on pouvait parfois voir dans certains films ou shows télés. Tant qu’ils étaient prononcés, les mots avaient la même force. Bien entendu, la volonté de l’exorciste comptait énormément et crier pouvait parfois aider à la faire ressortir mais Maldwyn n’en avait pas besoin. Il croyait au pouvoir des mots, il croyait au pouvoir des formules. Mais il ne croyait pas à son propre pouvoir. Il n’arrivait pas à voir les fantômes, il pouvait à peine les sentir, il n’avait pas de pouvoirs spéciaux… Peu importait ce que le Vieux pensait, peu importait ce que quiconque pensait : les formules ne marchaient que parce qu’elles étaient faites pour marcher. Même si Hyun les lisait, ça marcherait.
Mais pourtant, il ne les avait jamais apprises à son coéquipier. Pas qu’il n’avait pas confiance en Hyun… mais ça ne lui semblait pas nécessaire. Et qui savait ce que le Coréen en ferait vu son animosité envers tout ce qui n’était pas naturel.
La prière ne fut pas longue à prononcer, ses mains jointes pendant celle-ci se séparèrent et visèrent les lieux où devaient se trouver les esprits. Deux cris joints s’élevèrent soudain ; la mélancolie les imprégnant frappa Maldwyn par sa force et il en eut les larmes aux yeux sans qu’il ne puisse rien y faire. Il essuya rapidement son œil valide, ne tenant pas à avoir la vision troublée au cas où un autre esprit interviendrait – et pour ne pas que Hyun le voie dans cet état, il pouvait déjà imaginer son ton sarcastique et ses paroles acerbes.
Et il n’eut pas qu’à les imaginer : la voix de son coéquipier s’éleva alors dans toute sa causticité.
« Ca en fait trois de plombés, il en reste combien encore de ces saloperies ? »
« D’après le dossier, c’était une famille de quatre ou cinq, il ne devrait en rester qu’un ou deux, je crois. »
« Tant mieux, ça me gave comme mission. »
Maldwyn parvint quand même à sourire face à la désinvolture de son collègue et il se redressa pour s’avancer vers les autres pièces de la maison. Ils visitèrent entre autre un salon, une salle de bain et un grand placard sans rien rencontrer d’autre.
« Et bien, ça doit être quelque part en haut alors. »
« Si y’en a pas d’autres, je claque le Vieux pour ses informations encore une fois bidons. »
« Si tu fais ça, je veux être là pour pouvoir parier sur lui. » Répliqua Maldwyn en se foutant de sa gueule, jusqu’à ce que Hyun lui file un coup de pied stratégiquement placé dans le mollet.
« Je pense que je te vais d’abord m’en prendre à toi alors. »
« Comme si j’allais te laisser faire ! »
Il répliqua d’une claque derrière le crâne du Coréen et fuit rapidement vers l’escalier dont il grimpa les marches deux par deux. Une fois à l’étage, il sut immédiatement qu’il y avait bien un esprit ici. L’air était plus lourd et sa respiration fut coupée comme si on lui avait mis un coup de poing dans le ventre. Il se plia sur lui-même et observa autour de lui.
Rien ne bougeait mais il pouvait presque voir l’air se déplacer. Sans qu’un objet ne soit mis en lévitation, il pouvait sentir la présence de quelque chose et savoir exactement où elle se trouvait. Il s’avança, toujours courbé, mais évita de s’approcher. Il essaya de se concentrer et parut réussir à distinguer une forme humaine qui marchait lentement dans le couloir de l’étage. Il courut jusqu’à la porte la plus proche de lui et entra dans ce qui sembla être une chambre.
La force le frappa de nouveau de plein fouet et il tomba à genou au sol, se recroquevillant sur lui-même. Se tenant l’abdomen, il alla se réfugier derrière le lit, même s’il savait parfaitement que ça ne servirait à rien. Mais cela fut assez utile de manière psychologique pour qu’il se mette à incanter plus facilement la prière d’exorcisme. Il ferma l’œil pour mieux se concentrer juste sur son ‘sixième sens’ – même s’il n’en pensait pas forcément du bien en temps normal – et être prêt à relâcher son énergie sur le dernier esprit. Il fut surpris par le lit qui se déplaça vers lui et le força à se redresser. Il échappa de justesse à l’écrasement et eut du mal à garder son sort en main. Dos au mur, il baissa le visage et ferma à nouveau l’œil pour se concentrer.
Subitement, il le vit. Là dans le noir, une large silhouette s’avançait lentement vers lui. Il n’eut alors aucune hésitation ; il relâcha l’énergie concentrée et frappa de plein fouet la puissante présence en plein dans la poitrine. Elle ne disparut pas entièrement, il renouvela alors ses prières pour la frapper à nouveau, et encore et encore – malgré le hurlement qu’il ressentait, qui vibrait jusqu’au plus profond de ses os.
Quand il n’en resta plus rien, il s’avança jusqu’à la cage d’escalier, les yeux toujours fermés et stoppa net dans l’encadrement de la porte. Il y en avait encore un. Plus faible mais pouvant être tout aussi dangereux si on le laissait faire. Il n’hésita pas et libéra le pouvoir habitant ses mains pour le lancer sur le dernier esprit. Un nouvel hurlement naquit, qui le surprit au plus au point. Il rouvrit l’œil pour apercevoir le corps de son coéquipier recroquevillé à l’endroit où il venait de frapper.
« Hyun ! »
Il hurla de peur, écho de la douleur que Hyun extériorisait dans sa voix. Maldwyn crut également entendre une autre voix jointe aux leurs mais il ne sut s’il avait raison ; un nouveau coup vint le balancer à nouveau contre le mur et il glissa lentement le long de celui-ci, les yeux fermés, espérant berner visuellement son agresseur invisible. Il murmura à nouveau les mots nécessaires, à peine un souffle coulant hors de ses lèvres. La prière terminée fit renaître le pouvoir en ses mains et il n’eut qu’à viser l’endroit où il sentait encore la présence maudite, juste au dessus du corps meurtri de son collègue.
Un nouveau cri, plus effroyable que tous les autres, s’éleva de la forme devenant presque visible par sa douleur violente. Maldwyn croyait au pouvoir des mots, c’est pourquoi il les répéta, encore et encore, jusqu’à ce qu’il pense être sûr que leur agresseur n’était plus.
Il s’avança alors à quatre pattes vers le corps de Hyun et posa une main sur son épaule. Celui-ci eut un mouvement de recul mais ce simple effort sembla de trop pour lui et il s’affaissa subitement au milieu des marches, corps devenu flasque comme la mort.
Affolé, Maldwyn se redressa douloureusement vite pour pouvoir le redresser et fut on ne peut plus rassuré de sentir Hyun respirer lentement. Il le tint contre lui un moment, comme une mère berçant son enfant, et se remit lentement debout, son coéquipier toujours dans ses bras.
« Il n’y a bien que dans ce genre de cas que j’suis heureux qu’tu sois si maigre… » Marmonna-t-il à l’encontre du Coréen dans ses bras. « Allez, on rentre… »
Il sortit de la maison par la porte principale, se moquant bien de rompre les scellés et emporta son coéquipier jusqu’à la voiture où il le déposa doucement sur le siège passager. Il conduisit vite mais prudemment jusqu’à la société et reprit son collègue dans les bras pour l’emmener jusqu’au ‘bureau’ d’Attis.
Scène étrange, le médecin légiste avait le nez plongé devant un écran d’ordinateur, ce qui éclairait son visage d’une manière particulière que Maldwyn trouva des plus effrayantes. Mais il s’approcha quand même, ignora les grognements d’Attis et déposa Hyun sur une des tables.
Il y avait quelque chose d’encore plus effrayant à voir Hyun allongé, si pâle, sur une des tables d’autopsie ; il semblait bien mort malgré le fait que l’on puisse quand même voir sa poitrine se soulever doucement pour respirer. Serrant les poings, Maldwyn expliqua ce qu’il s’était passé au doc’ qui lui répliqua qu’il travaillait sur les morts, pas sur les presque vivants, encore moins quand il y avait des histoires de magie associée. Mais bien qu’il continuât à râler, Attis examina rapidement le Coréen et ne trouva rien qui clochait.
« Laisse-le dormir, son organisme arrivera bien à s’en remettre, il a déjà vécu pire. »
Pas très convaincu par ce diagnostique, Maldwyn se décida quand même à revenir chez eux et déposa Hyun dans le canapé…
*****
Voilà donc où ils en étaient quand Maldwyn l’observait silencieusement depuis son fauteuil. Il sortit son paquet de cigarettes de sa poche et alluma un de ses tubes de nicotine qu’il fuma de manière se voulant décontractée, se disant que tout se passerait bien et que Hyun était juste fatigué.
Voyant qu’il n’y avait pas d’amélioration chez son collègue, l’Américain se leva brusquement et se dirigea vers leur bar. Il en sortit un verre et une bouteille de whisky et s’en servit une bonne rasade qu’il but cul sec. Il s’en versa un autre et retourna sur son fauteuil.
Les mains crispées autour du verre, il observa le corps fluet de son collègue trembler légèrement sur le canapé. Il prit une nouvelle gorgée qui le fit tousser en passant au mauvais endroit. Plié une nouvelle fois sur lui-même, il essuya les larmes qui lui virent aux yeux et se redressa avec difficulté.
Pour tomber presque nez à nez avec Hyun qui s’était redressé. Maldwyn eut un sursaut en arrière et se leva aussitôt pour se rapprocher du canapé mais Hyun fut plus rapide que lui et le repoussa en grommelant qu’il allait se coucher.
Sur le cul, l’Américain le laissa faire et se mit finalement à sourire. Cet air grognon et cette violence, c’était tout lui.
Hyun n’avait rien de grave.
*****
La lame glissait si facilement sur la peau, faisant naître ces minces filets de sang, luisants sur sa peau si blanche. Il regardait les gouttes écarlates tomber une à une sur le carrelage de la salle de bain, se moquant bien de salir ce qui l’entourait ; il ne serait plus là pour être engueulé pour nettoyer plus tard si tout se passe bien.
Il ne s’attendait pas au coup qui vint le frapper à la mâchoire et fut bien trop faible pour y répondre. S’affalant au sol, il ne put que mollement protester quand quelqu’un le prit dans ses bras pour l’embarquer hors de la salle de bain.
Il perdit connaissance bien avant d’arriver aux urgences.
« Mon pauvre chou, tu as eu si mal que ça de l’avoir perdue ? Il va vraiment falloir que je te le fasse revivre en plus poussé alors ! »
*****
Quand Maldwyn sortit de sa chambre ce matin, l’appartement était bien silencieux, comme d’habitude. Il alla se préparer un bon café, prenant son temps en sachant que Hyun n’émergerait pas tant qu’il n’irait pas le réveiller.
Il manqua cracher sa boisson trop chaude et s’étouffa une nouvelle fois avec quand il vit son collègue passer la porte de leur cuisine, l’air bien réveillé.
« Bah alors, t’es tombé de ton lit ?! » S’exclama-t-il une fois qu’il s’en remit.
Seul un grognement lui répondit et le Coréen s’installa en face de lui et se servit une tasse de café, pour le plus grand étonnement de son coéquipier. Hyun ne buvait jamais de café, du moins, pas sans une bonne raison et sans sucre. Il trouvait ça beaucoup trop amer et grimaçait même quand il voyait Maldwyn avaler son petit serré.
C’est les yeux écarquillés et la bouche entrouverte qu’il observa son ami vider sa tasse d’un coup avant de se lever pour retourner dans sa chambre, accompagnant le claquement de la porte d’un « T’as pas intérêt à m’déranger ! » des plus convaincants.
L’Américain referma sa mâchoire et fronça des sourcils. Hyun s’était réveillé seul, était venu seul dans la cuisine, avait prit tout seul un « café » et était reparti seul dans sa chambre. Quelque chose n’était vraiment pas normal dans tout ça, et ce n’était pas seulement le fait que Hyun prenait juste un verre de thé glacé en guise de petit déjeuner en temps normal.
Maldwyn finit sa tasse et alla la rincer sommairement dans l’évier – ainsi que celle de son colocataire. Il resta un instant, les mains appuyées contre le rebord de l’évier, à regarder un mince filet d’eau se perdre jusqu’à la canalisation. Il finit par prendre une grande inspiration et se redressa d’un coup.
« Ca ira. Si ça se trouve, il a juste fait ça pour m’emmerder pour se venger. »
Il décida donc de ne rien dire de la journée et ferma bien les robinets avant d’essuyer les tasses et de les ranger. Ensuite, il alla frapper à la porte de la chambre de Hyun pour lui passer un message.
« J’vais au QG, oublie pas de manger à midi, y’a des plats tout prêts dans le frigo, t’as juste à te servir. Et oublie pas, si je vois qu’t’as pas mangé, j’t’engraisse ce soir. »
Maldwyn s’éloigna donc de la porte, et alla récupérer sa veste avant de sortir. Il ferma la porte à clefs – plus par habitude que par peur qu’il n’arrive quelque chose à Hyun, et descendit jusqu’au garage pour prendre la voiture.
Tout en conduisant, il ne pouvait empêcher ses doigts de tapoter nerveusement sur le volant.
*****
Une fois arrivé à Phenomena, il monta directement dans le bureau du Patron, fit un petit signe de bonjour à Harmonie mais ignora son avis sur la disponibilité de Noland et entra dans le bureau de celui-ci sans avoir été annoncé.
Il se dirigea aussitôt vers son père adoptif et posa une main à plat sur le grand bureau.
« La prochaine fois, renseigne-toi mieux sur les missions que tu nous donnes ! »
Noland ne lui répondit que d’un haussement de sourcil. Maldwyn lui expliqua alors tout ce qui s’était passé, ainsi que la réaction de Hyun ce matin. Son patron prit un instant de réflexion.
« Va voir Adam pour faire des recherches. Je vais en faire de mon côté aussi. »
« … C’est tout ? Pas d’excuses ni rien ? Pas de solution miracle non plus ? »
Noland ne répondit pas mais son regard en disait long. L’Américain savait très bien que Noland n’était qu’humain, qu’il ne pouvait pas avoir réponse à tout. Mais parfois, il aimerait tant y croire, tant croire encore à cette vision qu’il avait eue quand il était plus jeune…
« On trouvera si quelque chose ne va pas. Je te le promets. »
« Promets-moi aussi de trouver quelqu’un d’autre pour ce genre de mission. C’est pas mon truc. »
« Tu as pourtant réussi à tous les apaiser… »
« Par simple chance ! Et j’ai peut-être dézingué Hyun ! Tu as Tristent pour ça, elle sait comment faire et est douée pour ça ! Pas moi ! »
Noland baissa la tête d’un air sérieux avant de replonger son regard dans celui de son fils adoptif.
« Je ne peux pas te promettre cela, tu le sais bien. »
Le borgne grogna et serra les poings.
« Il y a des jours où je te hais. »
« Je sais. »
Mais le châtain finit par pousser un long soupir, toute son attitude se relaxant brusquement.
« Donc ça veut dire que je vais devoir bosser avec la belette ? »
« Il est le meilleur dans son domaine. »
« Mais ça change pas que c’est un petit con. »
Noland ne répondit rien et Maldwyn soupira à nouveau.
« Okay, okay, j’y vais… Mais je compte quand même sur toi. »
Le brun acquiesça lentement, signe qu’il connaissait très bien les attentes de son fils.
Ce fut légèrement plus rassuré que l’Américain sortit du bureau de son patron. Il fit même un grand sourire à Harmonie avant de prendre à nouveau l’ascenseur pour descendre au deuxième étage.
Il parcourut le couloir les mains dans les poches, la démarche nonchalante, et fut prit au dépourvu quand une boule d’énergie lui sauta sur le dos.
« Mald-niiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! »
Il se retint à un mur pour ne pas s’affaler sous le poids de sa jeune collègue et lui sourit en essayant de la décrocher de lui.
« Tristent, comment ça va aujourd’hui ? »
« Very good ! T’es tout seul ? C’est rare ça ! Hyun est malade ? » Demanda-t-elle dans un flot de paroles continu.
« Hum… Et bien, peut-être, c’est ce que j’aimerai bien savoir. » Répondit-il à voix basse.
« … Agneuh ? »
« Cherche pas, j’te dirai quand je saurais. »
« Okay ! » Répliqua-t-elle, toujours aussi vive. « Où est-ce que tu vas là ? Ton bureau est à l’étage au dessus, non ? »
« J’dois voir la Belette, j’ai des trucs à lui demander. »
« Waaaah ! Ca, c’est encore plus rare ! Tu dois lui demander quoi ? »
« Des trucs… Sur l’exorcisme… »
« Pourquoi tu lui demandes à lui, il y connait rien à tout ça ! C’est quoi ton problème ? »
« Bah, c’est quand même lui qui a le meilleur accès à toutes les informations du monde. »
« Mouais… Mais il y connait quand même rien. Allez, dis-moi ! »
« Dis… A ton avis, si un sort d’exorcisme touche un vivant, il se passe quoi ? »
« Woooh… T’as de ces questions ! C’est pas censé toucher des êtres vivants à l’origine. »
« Ca, je le sais bien. » Répliqua-t-il avec une grimace peu amusée.
Tristent se décolla entièrement pour se placer devant lui et lui pointa son index sur le nez.
« Me dis pas que tu as fait une telle connerie ! »
Maldwyn détourna le regard et lui fit un sourire maladroit en levant les mains d’un air se voulant innocent.
« Je ne te dis rien alors. »
La jeune femme mit un temps avant de comprendre ce qu’il voulait vraiment dire.
« Oh putain… T’as vraiment intérêt à faire des recherches alors ! » S’exclama-t-elle finalement avant de le prendre par le poignet et de le tirer derrière lui. « J’suis sûre qu’Adam pourra t’aider ! »
Maldwyn sourit devant son changement radical d’opinion pourtant si naturel chez elle. Il soupira ensuite en se disant qu’il allait devoir travailler avec le Geek – surtout que c’était peut-être pour rien, mais il fallait bien ça.
Pourtant, il ne pouvait s’empêcher d’imaginer le ricanement de Hyun quand il saurait ce qu’il avait fait si le Coréen jouait vraiment la comédie ce matin.
*****
Le bureau d’Adam était comme toujours plongé dans l’ombre, uniquement éclairé par les deux grands écrans d’ordinateur qui entouraient la petite silhouette de l’informateur. Maldwyn resta un instant à la porte, laissant à son œil le temps de s’habituer à l’obscurité. On entendait juste le bruit des touches du clavier ainsi que les basses légères d’une musique sûrement écoutée trop fort par les gros écouteurs posés sur les oreilles du blond. Maldwyn poussa un long soupir, il ne comprenait pas comment on pouvait vivre ainsi, à travers un ordinateur. Lui-même ne sortait plus autant qu’avant, mais c’était surtout à cause du boulot ; il prenait toujours plaisir à aller boire un coup de temps en temps, même si Hyun râlait à chaque fois quand il l’embarquait avec lui.
Il venait de se persuader de rentrer dans la pièce quand Tristent trouva enfin ce qu’elle semblait chercher contre le mur. Une lumière vive aveugla un petit instant le borgne qui plissa de l’œil. Et bien, maintenant il savait que l’interrupteur se trouvait sur la gauche de la pièce… Il entra enfin, grimaçant sous les insultes qu’Adam attribua à Tristent pour avoir osé le déranger.
« Allez, p’tite belette, gueule pas, on a du boulot pour toi. »
« Ouais, ça te changera de tes jeux ! » Renchérit la jeune fille en s’accrochant à son cou.
Le Français râla encore pour la forme et essaya de décrocher la sangsue de son cou mais elle était si bien installée qu’il finit par la laisser et se tourner vers Maldwyn.
Une nouvelle fois, l’Américain se demanda comment il pouvait bien faire pour voir quelque chose à travers le rideau de cheveux qui lui couvrait le visage. Sa tignasse, qui lui recouvrait déjà les yeux à son arrivée dans la société, lui arrivait à présent en dessous du nez, ce qui ne représentait pas tant que cela, sachant qu'il était employé là depuis plus d'un an. Maldwyn pensa en souriant que c’était sûrement Tristent qui lui coupait les cheveux – à moins qu’il ne lui fasse pas confiance et le fasse lui-même. En même temps, il pouvait très bien être très mal coiffé, on ne le voyait pas vraiment vu la sacro-sainte casquette qui ne quittait jamais son crâne. Voilà peut-être pourquoi il la portait constamment, même à l’intérieur…
« Alors, tu veux quoi ? » Grogna l’informaticien, faisant voler une petite mèche sous son souffle.
« Et bien… »
Maldwyn lui expliqua son problème et même s’il ne les voyait pas, il put sentir le roulement des yeux de la belette sous son rideau de cheveux.
« En gros, tu t’es foutu dans la merde et tu veux que je t’aide à t’en sortir. »
« Eh ! Déjà d’une, je ne sais pas si je suis vraiment dans la merde, et de deux… … … … Ouais, j’veux que tu m’aides au cas où. » Répliqua-t-il d’une grimace désabusée.
En temps normal, un clash avec Adam ne l’aurait pas dérangé, mais là, il se retrouverait bien embêté si l’informaticien refusait de l’aider. Mais il aurait volontiers fait avaler à ce petit idiot le sourire en coin qu’il lui dédiait. Ce n’était pas un gamin de moins de vingt ans qui allait pouvoir se foutre de sa gueule. Même si ce gosse s’y connaissait mille fois plus que lui en informatique…
« Bon, tu me dis ce que tu cherches précisément ? »
La voix d’Adam le coupa dans ses pensées meurtrières envers lui et il lui expliqua en détail ce qu’il aimerait apprendre.
« Okay… Allez vous asseoir tous les deux, j’ai besoin de respirer pour bosser. » Fit-il d’un ton sec, agitant de façon indolente la main vers le canapé qui avait élu domicile on ne savait trop comment dans son bureau.
« Non, je reste là, je veux te regarder faire. »
La tête d’Adam se tourna vivement vers lui et Maldwyn put sentir sans le voir le regard noir de celui-ci.
« Je promets de pas te gêner, je veux juste voir comment tu fais. »
« Tu y comprendras rien. »
« Mais… »
« Nan mais c’est vrai, Maldy ! Perso, moi, j’y comprends absolument rien quand il bosse ! »
« Tristent… »
La jeune femme avait lâché le cou du petit blond et l’avait pris par la main.
« Allez Mald-nii ! On va jouer à la Wii ? Y’a un super jeu de zombies ! »
« Non merci, Princesse, je ne tiens pas à revoir des zombies avant un bon bout de temps. » Lui fit-il en l’ébouriffant avec un sourire mi-écœuré, mi-désolé. « J’aimerais vraiment te voir faire, Be… Adam. Ca m’intrigue. » Fit-il ensuite en se tournant à nouveau vers le Français.
Le blond répondit d’un haussement des épaules, les ignorant déjà alors qu’il commençait à pianoter sur son clavier. Tristent décida alors de rester également et posa ses bras sur les épaules d’Adam sans pour autant les passer autour du cou – ainsi, Adam ne pouvait se plaindre de ne pas pouvoir respirer et elle pouvait rester près de lui sans le gêner. Maldwyn plaignit quand même quelque peu le jeune homme qui devait supporter sa ‘petite sœur’ presque constamment… Mais vu son comportement, il le méritait bien.
L’Américain se concentra donc sur l’écran sur lequel Adam semblait travailler et cligna de l’œil une fois. Deux fois. Trois fois. Tout allait si vite qu’il n’arrivait pas à assimiler les informations qui lui assénaient la rétine. Comment Adam faisait-il pour arriver à trier tout cela aussi vite… ?
Son regard passa de l’écran à Adam, d’Adam à l’écran, et vice et versa, essayant de comprendre si le jeune homme saisissait vraiment tout ce qu’il faisait. Mais vu le nombre de fichiers qui se retrouvaient à part, il semblerait que oui, Adam était capable de classer les informations à cette vitesse. Maldwyn comprit un peu mieux pourquoi le Vieux faisait aussi confiance aux capacités de son informateur.
Maldwyn dut détacher son attention de l’écran, tout cela devenait trop pour son cerveau et menaçait de lui donner un mal de crâne carabiné. Il savait qu’il y avait énormément d’informations sur Internet mais il ne s’attendait pas à autant… Vraiment pas.
Tristent, qui semblait arriver à suivre le rythme d’Adam – ce qui n’étonna pas Maldwyn le moins du monde, se rendit compte qu’il avait relâché son attention et lui fit un énorme sourire.
« Je t’avais bien dit que tu comprendrais rien ! »
Elle se détacha d’Adam et prit à nouveau la main de Maldwyn pour l’amener à nouveau vers le canapé.
« Allez, assis-toi, ça peut prendre encore un moment. » Lui sourit-elle en tapotant le coussin du canapé à côté d’elle.
« D’accord, d’accord… »
Il se laissa tomber et s’enfonça d’au moins vingt centimètres, ce qui le prit par surprise et lui fit produire un petit couinement qui amusa grandement Tristent.
Il grogna en se redressant et se mit à rire à son tour devant son propre ridicule. Et cela lui fit vraiment du bien. Il ne s’était pas rendu compte de la tension qu’il s’était imposée.
Il se relaxa dans le canapé trop mou, continuant à rire doucement et s’arrêta peu à peu, le regard levé vers le plafond. Discrètement, il croisait les doigts, espérant réellement que Hyun n’avait rien et que tout ça n’était vraiment qu’une mauvaise plaisanterie.
Mais au fond de lui-même, il se doutait que quelque chose n’allait pas. La comédie de ce matin aurait demandé beaucoup trop d’effort pour le paresseux qu’était Hyun… Il se mordit la lèvre, entendant à peine le blabla de Tristent à côté de lui, jusqu’à ce qu’elle pose une main sur son épaule qui le fit sursauter.
« Nii-san, ça va, t’es sûr ? »
Il réussit à lui sourire, pâle reflet de sa gaité habituelle qu’elle comprit immédiatement. Elle se tut alors et passa ses bras cette fois-ci autour du cou de celui qu’elle considérait comme son grand frère. Il se laissa faire et accueillit même volontiers cette étreinte, témoignage d’affection plutôt rare entre eux. Ils restèrent un instant ainsi, sans vraiment bouger, juste à se serrer dans les bras, jusqu’à ce que Tristent lui murmure à l’oreille.
« Everything’s gonna be alright, Big bro, I promise. »
Elle lui sourit de nouveau et il réussit à le lui rendre un peu plus facilement.
Un raclement de gorge les sépara mais ils prirent le temps de se sourire avant de se redresser – avec difficulté, du canapé mouvant.
« Tu as fini ? » Demanda-t-il à Adam même si la réponse était évidente vu que le professionnel des ordinateurs n’était plus tourné vers sa machine.
« A ton avis. » Répondit le blond en s’approchant de son imprimante pour en sortir un paquet de copies assez impressionnant. « Tiens. A toi de bosser maintenant. »
« Quoi ? » S’exclama Maldwyn, l’air perdu.
« Mon boulot, c’est de rassembler toutes les informations pertinentes, pas d’en faire le tri. Maintenant, c’est à toi de lire tout ça et de trouver ce que tu cherches. »
« Ah… »
« Allez, maintenant, jartez, j’ai autre chose à faire. »
« Eh ? Mais t’as vu le paquet que c’est ? Tu pouvais pas limiter encore ? »
« Donne-moi un sujet que je connais et je peux te trouver ‘le’ document que tu veux. Là, tu vas devoir te débrouiller avec ça. »
« Mais… »
« Pas de mais, dégagez ! J’ai besoin d’espace ! »
Et sans douceur, Adam poussa Maldwyn vers la sortie. Par contre, Tristent vint s’accrocher à nouveau à lui en insistant pour qu’il la laisse rester et il n’eut qu’un long soupir avant de retourner vers son ordinateur.
« Okay, mais ferme la porte. »
Tristent se fit un plaisir de le faire, après avoir fait un petit bisou sur la joue de son ‘big brother’et lui avoir souhaité ‘good luck!’.
Devant la porte fermée, Maldwyn soupira. Il avait espéré que Tristent l’aide au moins un peu à chercher dans cette pile de paperasse mais il comprenait également qu’elle veuille passer du temps avec Adam… Enfin, il comprenait sans vraiment comprendre.
Elle aurait pu trouver quelqu’un de mieux de qui tomber amoureuse.
Comme lui aurait aussi pu trouver mieux.
*****
Allongé sur le dos sur son lit, Hyun n’avait pas quitté sa chambre depuis le matin. Ses fins yeux noirs étaient grands ouverts, fixés nulle part sur le plafond. Il ne voyait pas la peinture blanche qui comportait quelques craquelures infimes, non, il voyait bien plus que ça, il voyait tout, tout ce que comportait son propre cerveau. Tout ce qu’il voulait cacher…
Le sol était dur sous ses mains, la roche égratignait violemment la peau tendre de ses paumes. Mais tout ça n’était rien. Il s’était occupé de la harpie, elle gisait à présent sur le sol, agonisante, ses derniers râles irritant son ouïe. Il voulait qu’elle se taise, muette à jamais, mais il ne pouvait plus bouger. Ses muscles étaient tétanisés, son esprit était embrouillé. Et ces cris affreux, ces plaintes rauques, n’aidaient en rien ses pensées à s’organiser. Que devait-il faire ? Que pouvait-il faire ?!
Ses doigts tremblants finirent par se mouvoir, allant chercher avec difficulté le portable qui dépassait à moitié de la poche. Il ouvrit, et pria pour ne pas qu’il le lâche comme le faisait normalement tout appareil électrique entre ses mains. L’écran ouvert, il bloqua un long instant devant. Le numéro avait totalement quitté son esprit et il commença à paniquer. S’il ne pouvait pas appeler, il ne pourrait pas le… le… Il retint un sanglot et se rappela soudain du répertoire. Ses doigts cherchèrent les touches avec difficulté mais il y parvint. Et quand la voix si connue lui répondit, il laissa échapper un cri étranglé de larmes retenues. Il parvint à prononcer les mots qu’il souhaitait, après quelques essais infructueux, son interlocuteur étant heureusement doté d’une grande patience. Juste quelques mots, l’essentiel.
Il laissa alors le téléphone encore ouvert tomber près du corps de son collègue dont le visage était couvert de sang. La voix à l’autre bout du fil s’était changée en cris mais il n’y fit plus attention. Il ne pouvait plus déporter son regard du sang. Tout ce sang qui semblait couler à ne plus s’en arrêter.
Et ces griffures, ces trois grandes griffures à l’endroit où aurait du se trouver un œil. Ces trois griffures qui transformaient cette partie du visage en un tas de chair palpitante. Cette blessure sûrement mortelle qui s’étalait sur le visage de Maldwyn…
Ses mains se remirent à trembler quand la réalité le frappa de nouveau de plein fouet. Maldwyn risquait de mourir… De mourir… Il était comme elle… Comme elle… Exactement comme elle…
Et tout était uniquement de sa faute.
« Alors tu y tiens tant que ça à cet homme ? Au point de réagir ainsi ? Ahahahahaha ! Tu es vraiment plein de faiblesses, la proie idéale ! »
*****
Maldwyn hésita un instant. Allait-il se diriger vers son propre bureau ou essayer d’en squatter un autre ? Puis il se rappela qu’il n’avait pas pénétré dans son bureau depuis… woh, longtemps. Ils étaient presque toujours sur le terrain et n’avaient pas beaucoup de paperasses à remplir, ou alors, ils pouvaient le faire chez eux. Il ne voulait même pas imaginer la couche de poussière qui avait du s’y déposer… S’il y allait maintenant, il passerait sûrement le reste de la journée à ranger et nettoyer toute la pièce. Il retint donc son instinct qui lui demandait d’y courir immédiatement et se dirigea plutôt vers les bureaux d’Usagi et Artémis, les deux seuls du bâtiment où il pourrait fumer en travaillant.
Il ouvrit la porte du premier, mit un pied dedans, stoppa, fit un pas en arrière et la referma aussitôt. Il jura entre ses dents, ce n’était pas vraiment le jour pour tomber sur ce genre de scène.
Il maudissait encore ses collègues pour leur manque de pudeur quand il ouvrit la porte de l’autre bureau, forcément vide vu la scène se déroulant dans celui d’Artémis. Il s’affala sans retenue sur la grande chaise confortable d’Usagi et étala ses papiers devant lui. Il en aurait sûrement pour la journée… et même le lendemain, et peut-être encore le jour d’après… Après un long soupir, il commença à éplucher soigneusement toutes les informations, lui-même peu sûr de ce qu’il cherchait vraiment.
La poubelle était déjà pleine de paperasse quand la tête d’Usagi passa par l’entrebâillement de sa porte. Quand il vit que Maldwyn n’était pas prêt à l’étriper, il entra dans la pièce et s’approcha de son bureau en sautillant.
« Bonjou~~~r, je peux savoir pourquoi tu squattes mon bureau ? »
« Parce que tu squattais celui d’Artémis… » Répondit Maldwyn sans même lever le nez de la feuille qu’il étudiait.
« Bien entendu. » Fit Usagi avec un petit rire, comme s’il aurait du voir l’évidence même. « C’est quoi tout ça ? » Ajouta-t-il en désignant les papiers qui envahissaient son bureau.
Maldwyn leva enfin les yeux vers lui et eut un sourire qui ne plut pas du tout au voleur.
« Si ça t’intéresse tant que ça, aide-moi ! »
Pour appuyer son propos, Maldwyn lui donna un petit paquet de feuilles que le blond dévisagea longuement, n’y comprenant pas grand-chose. Il était si concentré à essayer de comprendre pourquoi Maldwyn lui donnait des feuilles sur l’exorcisme, à lui qui n’avait aucun pouvoir, qu’il n’entendit pas Artémis entrer nonchalamment, comme si de rien était, et ne put le sauver des longues griffes de l’Américain ne voulant plus travailler tout seul. Quand il vit son coéquipier avec une pile de feuilles égale à la sienne, il sourit en se disant, qu’au moins, il ne serait pas le seul à ne rien comprendre, vu qu’Artémis avait encore moins de pouvoirs que lui. Usagi pouvait au moins sentir la présence des esprits, il ne voyait rien mais savaient où ils se trouvaient. Artémis, lui… … … Ne voyait rien, ne sentait rien et pire, n’y croyait qu’à peine. Ce qui pouvait parfois être problématique vu leur métier.
Ils s’installèrent autour du grand bureau et, enfin, Maldwyn leur expliqua la situation. C’était quand même plus clair comme ça ! A présent, ils pouvaient chercher à trois, ce qui irait sûrement beaucoup plus vite.
La lecture continua donc, presque dans le silence si on exceptait les commentaires de lecture d’Usagi. Il semblait apprendre beaucoup de choses, juste pas forcément utiles pour lui-même, et encore moins pour Maldwyn.
Au bout d’un moment, Maldwyn redressa la tête et eut un bâillement des plus violents qui lui laissa une larme à l’œil. Il l’essuya d’un geste rapide et regarda ses deux collègues.
« Au fait… » Commença-t-il pour attirer leur attention. « Quand vous faites ce que vous avez fait juste avant… Pensez à fermer la porte s’il vous plaît. J’ai déjà eut assez de traumatismes avec Noland pour ne pas avoir en plus des images de vous deux sur le bureau d’Artémis dans la tête. »
Usagi explosa de rire et Artémis eut juste ce sourire en coin si caractéristique de son amusement. Il faudrait qu’ils arrivent à faire descendre Noland un jour, juste pour voir la réaction du beau-fils dans un autre cas semblable…
*****
Maldwyn en avait marre… Mais vraiment marre. Ca faisait plusieurs heures qu’ils avaient le nez plongé dans ces paperasses et ils n’avaient réussi qu’à sortir trois ou quatre feuilles de ce tas qui semblaient intéressantes. Il lui faudrait encore les lire plus en détail après. Il en venait presque à envier les capacités d’Adam et il aurait bien aimé avoir les mêmes pour ce qui est du triage de papier.
La corbeille d’Usagi était pleine depuis un moment et des tas bien alignés – par la monomanie du rangement de l’Américain, s’entassaient à côté d’elle, prêt à être recyclés à tout moment.
« Raaaah, j’en ai marre ! » S’exclama subitement le borgne châtain en s’étalant sur les tas de papiers.
Usagi lui répondit en riant et Artémis prit le temps de s’étirer avant de faire un commentaire.
« Je peux savoir ce qu’on récupèrera de t’avoir aidé toute la soirée ? »
Maldwyn leva la tête vers lui et lui lança un regard un peu perdu.
« Merde, j’ai pas pensé à ça… … … Une cartouche de clopes ? »
« C’est tout ?! Ton cabot peut bien crever à ce prix là. »
Maldwyn se redressa et fourra un coup de feuille roulée sur la tête du coéquipier d’Usagi.
« L’appelle pas comme ça. Et dis-moi plutôt ce que tu veux au lieu de râler. »
« Huuum… … Si on arrive à le sauver, tu lui avoue tes sentiments. »
« QUOI ?! Tu veux ma mort ?! »
A côté, Usagi était mort de rire et s’engagea aussi dans la partie.
« ‘Témis n’a pas tord, c’est assez ennuyant de te voir lui tourner autour et prendre cet air tout triste le plus souvent alors qu’il suffirait de si peu pour que tu sois heureux. »
« Vous plaisantez, le contraire peut pas être possible… »
« Nan nan, on est bien sérieux. »
Les sourires presque jumeaux en face de lui lui firent plus peur qu’autre chose et il laissa son front tomber sur le bureau d’un air désespéré.
« Mais pourquoi je vous ai demandé de l’aide, j’aurais du me douter que y’aurait un truc louche… »
« Allez Bébé, tu vas t’en remettre. »
« Toi, Belle-maman, tu la fermes. C’est toi qui me mets dans cet état je te ferais remarquer. »
« Eh ! T’aurais pas merdé pendant ta mission, t’en serais pas là. »
« Au fait, il est où le cabot là ? Chez vous ? » S’enquit soudainement le borgne blond.
« Oui pourquoi ? »
« Tu crois que c’était prudent de le laisser seul après tout ça ? »
« Bah… Il se portait plutôt bien ce matin… Il avait un comportement étrange mais il semblait en bonne santé. »
« … … … … »
« Y’a des fois, je me demande comment Noland a bien pu t’élever… » Commenta Artémis en s’allumant une clope.
« Bah quoi ? » Fit l’Américain en se redressant, les sourcils froncés.
« Prends ça et rentre chez toi, on s’occupe du reste de la paperasse. » Répondit Usagi en lui tendant les papiers qu’ils avaient déjà mis de côté. « Vaut mieux que tu retournes près de lui, on sait jamais. Pis même si y’a rien, tu sais comment il est, si t’es pas là, il va se laisser crever juste à ne pas bouger. »
« Raaaah… » Répliqua Maldwyn avant de quand même prendre le tas de feuilles. « Il est quelle heure ? »
« Presque vingt-et-une heures. Dépêche-toi, si ça se trouve, il crève déjà de faim là, il risque de perdre un os. »
Le dernier commentaire d’Artémis lui valut un autre coup de feuilles roulées qu’il esquiva facilement. Maldwyn se leva de la chaise qui ne lui paraissait plus aussi confortable que quand il s’y était assis et s’étira de tout son long avant de faire quelques pas vers la porte.
« Allez les gars, à demain sûrement, on est encore loin d’avoir fini. »
« A demain Maldwyn, j’pense qu’on va faire une pause aussi, mais on reviendra demain… Après tout, c’est mon bureau que tu as envahi de papiers. »
L’Américain lui répondit d’un petit rire et s’avança un peu plus vers la porte. Une fois la poignée en main, il se tourna vers le couple et leur fit un sourire franc.
« Encore merci. Vous m’avez vraiment aidé. »
« Mah de rien Bébé. Faut bien que les parents aident leur fiston. »
« ‘Témis à raison, on est là pour t’apporter tout notre soutien pour que tu puisses t’épanouir. » Renchérit Usagi d’un air presque sérieux.
Maldwyn rit franchement et ouvrit la porte avec le cœur un peu plus léger.
« A un moment, j’vous aurait maudit… Mais franchement, j’me dis que deux beaux-pères comme vous, j’aurais pu tomber sur pire. Allez, à plus les Vieux ! »
Il sortit du bureau en se marrant et avait encore le sourire en entrant dans l’ascenseur. Il le perdit doucement, à mesure qu’il se posa des questions sur la santé de Hyun et sur le comportement qu’il devrait avoir avec lui. Il regarda le tas de feuilles dans sa main et entreprit d’en lire un peu plus les détails. Le ‘ting’ de l’ascenseur le surprit et il en sortit précipitamment avant que les portes ne se referment. Il lut encore sur le chemin jusqu’à sa voiture, connaissant parfaitement le chemin dans le parking jusqu’à sa place attitrée.
Une fois dans sa voiture, son premier geste fut d’allumer la lumière pour pouvoir continuer à lire l’article qu’Usagi lui avait trouvé.
Il ne détaillait pas vraiment ce qui avait pu arriver au Coréen mais il témoignait de cas d’hommes dont le comportement avait changé du jour au lendemain. La plupart était des canulars, des mythes, mais certains semblaient être de vrais cas de possession, par des esprits ou des souvenirs d’anciennes vies.
Maldwyn fronça les sourcils à la fin de l’article où l’auteur expliquait que ça se déroulait plus souvent qu’on ne pouvait le penser. Il déposa la pile de papiers sur le siège passager et prit un moment de réflexion avant de se laisser aller à rire un peu.
Hyun, possédé ? Tu parles, il était trop hargneux pour se laisser faire !
*****
Un poing le frappa à la tempe, l’étourdissant un instant. Mais il put quand même voir l’homme au costume bariolé voler après un coup de pied bien placé de Maldwyn. Un ricanement lui échappa quand il vit le clown défiguré se redresser lentement de l’eau croupie dans laquelle il était tombé. Les égouts lui allaient vraiment bien, très en accord avec son visage déformé et ses vêtements se décomposant en lambeaux décolorés.
Le clown meurtrier s’était remis debout, les pieds enfoncés dans l’eau noire, nullement gêné par le courant violent qui semblait s’écouler autour de lui. Ses yeux noirs étaient plantés sur eux, imaginant sûrement toutes les morts qu’il pourrait leur faire vivre – différentes de celles qu’il avait déjà faites subir à ses premières victimes. Mais Hyun n’allait pas lui laisser cet espoir : il courut récupérer ses flingues qui avaient volé lors du premier coup qu’il s’était reçu et tira. Sans aucune visibilité mais il tira encore et encore. Il entendit vaguement son coéquipier lui hurler de faire gaffe, qu’il aurait pu le toucher mais il s’en moquait bien. Il tira encore et encore et encore. Jusqu’à ce qu’une main l’attrape à la gorge et l’étouffe impitoyablement. Le tueur coloré était on ne peut plus proche de lui et Hyun pouvait voir les impacts sanglants que ses balles avaient créés sur la poitrine de son ennemi. La plupart avaient porté mais le saltimbanque tueur ne semblait même pas s’en être rendu compte. Sa poigne enserrait la gorge fragile du Coréen qui commença à ressentir le manque d’oxygène.
Mais le rire gras de l’amuseur sembla lui promettre que cela ne suffisait pas. Le Coréen se sentit partir en arrière, emporté par la main de fer de l’arlequin insipide. Il ferma les yeux, s’attendant à un choc important quand il cognerait le mur lointain. Mais ses yeux se rouvrirent à l’impact. Car il n’y eut pas de percussion sourde, comme il s’y était attendu, mais une douleur vive, transperçante.
Il hurla, malgré sa gorge toujours retenue. D’autres cris se firent entendre, le rire toujours maniaque du clown ravagé, les appels de Maldwyn dans lesquels ont pouvait sentir l’inquiétude et la colère.
Hyun ressentit plus qu’il ne vit le saltimbanque tomber, il sentit la main grasse glisser le long de son corps et s’abattre au sol dans un bruit mou que son esprit dérangé par la douleur entendit plus que les cris anxieux de son coéquipier. Son regard perdu sur la main au sol remonta lentement sur son propre corps et il vit enfin pourquoi Maldwyn semblait si désespéré.
Un tuyau, rouillé et déformé par le temps et l’explosion qu’il avait du subir, s’était planté dans sa hanche droite et ressortait de façon malsaine à travers ses vêtements. Il n’entendit plus les cris de Maldwyn qu’en fond sonore, son esprit comme refusant d’accepter ce qu’il voyait. Il repoussa les mains qu’il vit s’approcher de lui ; il n’y avait pas à s’inquiéter, il n’y avait pas à hurler ainsi… Il s’en sortirait, il n’avait pas si mal que ça…
Tout perdu qu’il était, ses sens tellement nimbés de douleur qu’il n’en ressentait plus rien, il fut le seul à remarquer les mouvements que fit la silhouette au sol. Il repoussa Maldwyn, d’une force qui surprit tant l’Américain que celui-ci trébucha sur le gros corps du saltimbanque et s’étala au sol dans une gerbe d’eau salie. Comme réveillé par le coup, le clown défiguré se redressa lentement.
Une main à plat par terre, puis l’autre et enfin le haut du corps se releva, les yeux fous se posèrent sur Hyun et le sourire tordu s’étira d’une manière obscène. Le Coréen ne réfléchit plus un instant. Il allait le réduire en fumée une bonne fois pour toute. Il devait le faire, pas pour les victimes, pas pour sauver Maldwyn, pour lui-même, pour calmer cette colère qui montait en lui, cette rage de s’être laissé avoir, cette fureur d’avoir été autant blessé par un minable pareil.
Il posa une main sur le mur, l’autre englobant inconsciemment sa blessure et poussa, se retirant du piège supposé mortel pour quiconque d’autre que lui. La peau s’arracha, les muscles se froissèrent, se déchirèrent, mais il ne s’en soucia pas. Il ramassa ses armes à nouveau, ignorant l’irradiation brûlante de sa blessure au mouvement, et visa le visage difforme du clown monstrueux.
« Bye bye. »
Il tira, vidant ses chargeurs entre les deux yeux jaunes de la créature qui avait été supposée autrefois humaine. La tête explosa sous ses yeux mais il continua à tirer, jusqu’à ce qu’il n’entende plus que le ‘clic clic clic’ incessant de ses pistolets vides.
Il les laissa retomber au sol ; le bruit du métal cognant sur le sol froid résonna fortement dans le tunnel sombre, ainsi que dans sa boîte crânienne. Long et infini, le son le fit fermer les yeux et sa vision se remplit de blanc.
Il ne se sentit pas tomber, sa conscience étant déjà loin de lui au moment de l’impact. Il n’y eut que le froid, ce froid intense. Et ce blanc. Blanc de l’inconscience, blanc de l’hôpital, blanc de la douleur.
« … … … Tu es fort. Et inconscient. Mouahahah, vraiment la proie idéale. Eh ?! Qu’est-ce que tu crois faire ?! Tu penses vraiment réussir à me virer comme tu arrives à ignorer la douleur ? Tu rêves un peu trop, incapable ! »
*****
Maldwyn ouvrit doucement la porte de l’appartement, ne s’étonnant pas du silence qui y régna. Il enleva ses chaussures dans l’entrée, assez en forme pour le faire ce jour-ci. Il déposa ses papiers sur le canapé avant d’aller faire un tour par la cuisine, jeter un coup d’œil dans le frigo et pousser un long soupir. Rien n’avait bougé depuis ce matin.
Il en sortit une bière et s’assit sur une chaise de la cuisine avant de s’affaler sur la table. La tête enfouie dans les bras, il eut un nouveau soupir et se demanda comment réagir. Il écarta les bras et laissa son front tomber durement sur la table, l’œil fermé.
« T’es trop con, Maldwyn. » S’auto-insulta-t-il avant de se redresser et prendre une longue gorgée de bière.
Il se releva et posa sa canette sur le comptoir de la cuisine avant de se diriger vers la porte de la chambre de Hyun. Il hésita un instant devant mais finit par l’ouvrir, sans prendre le temps de frapper avant.
Hyun était sur son lit sur le dos, les yeux fermés, les bras grands ouverts. Cela lui arrivait parfois mais il dormait quand même le plus souvent sur le côté, recroquevillé sur lui-même. Maldwyn s’avança jusqu’au bord du lit et l’observa un instant. Quelque chose lui semblait étrange dans cette position mais il ne savait pas si c’était vraiment bizarre ou s’il se montait le chignon avec cette situation… Il hésita un long instant à côté de lui, ne sachant pas quoi faire.
Comment allait-il réagir ? Comment devait-il réagir ?
Il ferma sa paupière et se baffa mentalement. Il y avait des fois où il se posait bien trop de questions. Il leva le pied et en donna un gros coup dans le flanc du Coréen.
« Allez debout ! T’as rien mangé, j’t’avais prévenu ! »
Le regard noir qui le fixa alors lui glaça le sang mais les yeux s’adoucirent aussitôt pour prendre cet air endormi que Hyun avait toujours au réveil. Il grogna et se redressa lentement pour s’asseoir sur le côté du lit.
« Dégage, tu vois pas que je dormais ?! »
Maldwyn sourit et lui donna un nouveau coup de pied léger dans le mollet.
« Allez, lève tes fesses, j’te l’avais dit ce matin que j’agirais si je voyais que rien n’avait bougé dans le frigo. »
Hyun répondit d’un nouveau grognement mais se leva finalement pour s’étirer.
« T’es vraiment trop chiant… »
Après un dernier bâillement et un grattement de ventre, le Coréen se dirigea d’un pas lent vers la cuisine.
Tout cela sonnait vrai, se ressentait comme une certaine réalité… Mais Maldwyn ne pouvait s’empêcher de penser que Hyun aurait du être plus violent, l’aurait frappé avant d’accepter, ne se serait pas laissé faire aussi facilement. En pensant à tout ça, l’américain se dit qu’il devait vraiment être masochiste parfois à vouloir ainsi que Hyun le frappe… Il se gratta la tête d’un air embarrassé et décida de suivre son coéquipier dans la cuisine.
« Y’a des restes d’hier, ça devrait te suffire. » L’informa-t-il en fouillant le réfrigérateur.
Il en sortit plusieurs petits Tupperware et commença à préparer le repas, comme à son habitude. Mais ce soir là, le silence qui s’étendit dans la cuisine le dérangeait. Même les bâillements répétés du Coréen ne suffisaient pas à le rassurer. Il finit la préparation et fourra le tout dans le micro-onde pendant deux minutes. Il s’assit à la table, en face de Hyun, et ne le lâcha pas du regard. Les yeux noirs de son collègue ne quittèrent pas les siens, sans vraiment d’expression à part une apathie profonde.
« Alors, tu as eu une bonne journée à ne rien faire ? » Finit-il par demander pour rompre le silence devenant pesant.
L’expression amorphe du Coréen changea du tout au tout en un instant.
« C’était enrichissant… Vraiment. »
Le sourire qu’il afficha alors refila des frissons à son coéquipier. Hyun pouvait être vraiment « creepy » (il n’y avait bien que l’expression en anglais qui venait à l’esprit à Maldwyn pour vraiment refléter ses pensées) quand il le voulait, mais là, c’était pire que jamais.
Malheureusement – ou non, le micro-onde décida de se mettre à sonner à ce moment précis, faisant sursauter l’Américain qui se leva aussitôt pour aller chercher l’assiette et la déposer devant Hyun.
« J’pense pas que tu aies besoin de mon aide pour lever ta fourchette, j’vais te laisser. J’ai eu une longue journée, moi. »
Un ricanement lui répondit, vite étouffé par un brocoli farouchement croqué.
Et là, Maldwyn fut certain que quelque chose n’allait vraiment pas avec Hyun. Il n’aurait jamais cru le voir manger autant un jour. Il retint son effarement et s’avança vers la porte de la cuisine où il s’arrêta.
« Au fait, tu viens au bureau demain, le Vieux aimerait te parler. »
Un mouvement de la tête lui répondit, la bouche étant trop occupée à avaler un gros morceau de viande. Le borgne fut presque écœuré de cette vision d’horreur et il fuit la cuisine pour s’enfermer dans sa chambre après avoir récupéré sa pile de papiers dans le salon.
Il ne pensait pas aimer la routine, il l’avait bien prouvé tout le long de son adolescence troublée, mais il avait bien assez de nouveautés chaque jour dans son travail pour ne pas en désirer tous les soirs en plus. La routine qu’il avait créée avec Hyun l’aidait à se sentir bien en temps normal, à sentir qu’il y avait quand même quelqu’un de normal dans ce monde dont il voyait le plus souvent la phase la plus folle.
Il se laissa tomber sur son lit et déposa son paquet de feuilles sur son visage. Qu’est-ce qui pouvait bien se passer…
Maintenant, en tout cas, il en avait le cœur net, ce n’était pas une blague. Même pour emmerder un maximum son coéquipier, Hyun aurait été incapable de se forcer à manger ainsi : son rapport avec la nourriture était encore plus conflictuel que celui avec Maldwyn.
Il vira les feuilles qui lui obscurcissaient la vue et regarda longuement son plafond. Il le connaissait par cœur déjà, des années de nuits blanches aidaient à ce genre de choses. Son regard oublia donc bien vite la peinture blanche et se perdit dans ses pensées. Il repensa à l’article mais ne voulait pas croire à une possession possible. Ils avaient beau se vendre en tant qu’« exorcistes », ils n’avaient jamais eu affaire à ce genre de cas. Il faut dire qu’il ne devait pas y avoir beaucoup de boulettes dans le même genre que celle qu’il avait faite.
Il poussa un nouveau soupir et rattrapa les papiers qui s’étaient étalés sur son lit. Et bien, il allait avoir de la lecture pour la nuit.
*****
Une fois les brocolis finis, Hyun se leva, s’étira et laissa tout en plant avant de retourner dans sa chambre. Il s’affala sur le lit et ferma les yeux.
La rue lui semblait tellement longue et la maison familiale était encore en vue, c’était encore trop proche, trop proche de ces imbéciles. Il accéléra le pas et s’engouffra dans des rues de plus en plus petites. Tout pour s’éloigner de son milieu, tout pour essayer de devenir quelqu’un d’autre, même si ce n’était que pour une nuit.
Mais ce coup de téléphone… Cet appel du destin qui le fit revenir à son point de départ.
« Eurf ! Trop nul, on l’a déjà vu ça ! Passons à un autre… »
La première fois qu’il avait vu Noland, il n’avait pas pu s’empêcher d’être légèrement impressionné. Mais pas plus d’une seconde, bien entendu. C’était pas un vieux balourd qui allait lui faire peur.
Les choses s’étaient tellement enchaînées qu’il était difficile de faire le point sur comment il s’était retrouvé ici mais en tout cas, maintenant qu’il y était, il regrettait de s’être laissé embarqué. Les locaux étaient propres et même assez impressionnants pour une entreprise basée sur un tel concept, mais ça ne le convainquait pas. Encore plus quand son normalement futur patron lui présenta son normalement futur coéquipier. Comment pouvait-il croire qu’il bosserait avec ce type ressemblant à rien ?! On aurait cru qu’il sortait d’une vieille publicité américaine ratée…
« T’as que ça à me montrer ?! Grrrrumpf ! Tu vas voir si tu peux vraiment me faire croire que ça fait parti des moments les plus marquants de ta vie ! »
Il ne pouvait pas rester dans ce pays… Vraiment pas. Pas avec ces parents, pas alors qu’elle n’était plus là. Ils étaient tous là, tous ceux qui l’avaient soutenu. Ces amis que ses parents n’appréciaient pas forcément mais ça, il s’en foutait. Son père n’appréciait pas grand-chose de toutes façons, à part les bonnes notes et les bonnes manières, et sa mère… … … Il préférait ne pas en parler.
Il serra la main de Meng, geste qui se transforma en accolade fraternelle.
« Tu vas nous man… »
« MAIS MERDE ! T’as vraiment des souvenirs de merde ! T’es peut-être une bonne proie mais t’es pas capable de me montrer mieux que trois scènes sympas ?! J’avoue, le coup du clown était fun, et la harpie aussi mais zut quoi ! T’as du vivre d’autres trucs que ça ! Pourquoi j’arrive pas à les voir ?! »
Le corps du Coréen ouvrit subitement les yeux et se redressa avant de prendre sa tête dans les mains.
« Fous-moi… La paix ! »
Et il retomba sur le lit, inconscient.
*****
Vers 6h du matin, Maldwyn posa la dernière feuille et bailla violemment. Il était temps de passer en mode ‘journée’ à en voir le soleil qui se levait rapidement. Il s’étira de tout son long sur son lit, comme un chat qui aurait passé son temps à dormir en boule – ce qu’il n’avait bien entendu pas fait, et se leva pour aller chercher des fringues dans son armoire pour ensuite aller prendre sa douche. Dans le couloir, son regard se tourna vers la porte de la chambre de Hyun et il se mordit la lèvre à l’idée de ce qu’il allait devoir faire aujourd’hui. Mais il ne pouvait décemment pas laisser Hyun se balader tout seul dans la nature dans cet état. Il allait l’embarquer avec lui au bureau et voir comment les choses allaient se passer…
Mais pour l’instant, il avait une douche à prendre.
*****
Les yeux de Hyun s’ouvrirent brusquement, sans qu’un autre muscle de son corps ne bouge. Son regard noir était porté vers le mur sombre, où juste quelques ombres de branches se mouvaient paresseusement sous le mouvement du vent à l’extérieur. Il referma les yeux et allait se rendormir quand des coups violents retentirent contre la porte. Il se leva d’un coup et alla violemment ouvrir la porte en grand. Maldwyn le regarda d’un air étonné, le poing encore en l’air.
« Et beh, t’as pas mis longtemps à ouvrir aujourd’hui ! » Fit-il avec un sourire amusé. « Allez, dépêche-toi de te préparer, on part dans pas longtemps. »
Et son colocataire se détourna de lui pour aller préparer un petit déjeuner rapide, café et pancake, à la mode américaine.
Hyun resta un instant sans bouger ; il était rare pour Maldwyn de se trimballer sans un bandeau sur son œil blessé mais aujourd’hui était un jour comme cela. Et la vision des trois grandes cicatrices qui barraient la paupière fermée à jamais lui donna des frissons. Lentement, un grand sourire naquit sur son visage. Trop grand. Presque inhumain.
Sa proie était assez intéressante, mais cet homme l’était tout autant. Il était bien tombé… Et allait bien s’amuser, sûrement.
*****
Le chemin en voiture fut silencieux, la radio jouant un air classique pour jeunes japonais branchés que Maldwyn supporta tant bien que mal pour voir si Hyun allait y changer quelque chose. Le Coréen n’appréciait pas en temps normal ce genre de musique, préférant le métal bien bourrin pour le plus grand malheur des oreilles de son conducteur.
L’Américain n’avait pas besoin de preuves de plus mais ça ne pouvait pas faire de mal de le confirmer une nouvelle fois. Et quand il entendit Hyun humhumer la chanson, il n’en crut pas ses oreilles. il pouvait au moins se dire que cette expérience étrange lui donnerait de mon moyen de se moquer de Hyun plus tard, quand tout irait mieux… Si tout allait mieux un jour.
Il se gara dans le parking visiteur de la société, bizarrement peu désireux de montrer à ce Hyun anormal les tréfonds du bâtiment. Il prit bien soin de fermer toutes les portes à clefs et emmena son collègue par l’entrée principale. Il salua les jolies secrétaires qui s’occupaient du premier tri des clients et prit l’ascenseur principal qui les emmena jusqu’au troisième étage. Il continua jusqu’au bureau de Hyun et laissa le Coréen y entrer.
« On a encore un peu de temps, tu peux bosser sur le dossier en attendant, j’vais voir Usa et Témis pour leur demander des infos. »
Il n’y avait aucun dossier qui les attendait mais Maldwyn comptait bien sur la désorientation de Hyun pour que celui-ci essaye de trouver de quel dossier il pouvait bien parler le temps que Mald’ puisse trouver quoi faire de lui. Oui, c’était risqué mais bon…
Il le laissa donc dans le bureau et se dirigea d’un pas rapide vers le bureau d’Usagi où il retrouva ses deux collègues dans une position démontrant qu’ils étaient clairement en pause.
« Mais merde ! Vous savez faire que ça dans un bureau ou quoi ?! »
Usagi lui répondit d’un rire et réajusta sa chemise avant de lui répondre.
« C’est juste qu’on s’ennuie parfois… »
« Mouais, mouais… J’en conclus que vous en avez fini avec les papiers ? »
« Exactement. » Répondit Artémis en se redressant pour s’appuyer sur le côté du bureau du blond. « Et j’dois te dire que ça à plutôt l’air mal barré pour ton p’tit copain, vu c’qu’on a trouvé. »
« Comment ça ? Qu’est-ce que vous avez trouvé ? Raconte ! » S’exclama Maldwyn, sentant aussitôt la panique monter en lui – et ignorant intentionnellement la pique de son collègue sur sa relation avec Hyun.
« Calme-toi Maldwyn, » le rassura Usagi, « on a trouvé deux ou trois hypothèses possibles, on sait pas trop ce que ça peut être… »
« Ca change pas que les trois sont pas terribles de toutes façons. » Annota Artémis de son ‘positivisme’ légendaire.
« L’écoute pas, tu le connais. » Sourit Usagi en tendant quelques papiers vers Maldwyn. « Donc les propositions sont : un, la mort de l’âme de la personne touchée, deux, un transfert/ échange des âmes du lanceur de sort et du touché ou trois, l’attirance d’une âme extérieure dans le corps du touché. »
Maldwyn regarda Usagi lui énumérer tout ça en le regardant avec un air bovin. Il n’avait rien lu de tout ça dans le paquet de documents qu’il avait emporté… Il faut dire qu’il s’était concentré sur l’idée de possession, cela avait peut-être influencé sa façon de lire les papiers.
« … Si j’ai bien compris, ça peut pas être le un parce que sinon, on aurait un zombie avec l’apparence de Hyun mais rien dedans, or, je peux vous dire qu’il bouge encore bien et qu’il peut parler de façon sensée. »
« C’est sûr, c’est étrange par rapport à avant ça. » Glissa Artémis avec un sourire en coin.
Maldwyn lui répondit d’un roulement des yeux et continua.
« Le deux, bah… Je suis bien là et je pense pas avoir échangé d’âme avec qui que ce soit. »
« Sûr, tu grognes pas. »
« Artémis… » Fit Usagi avec quand même un léger sourire sous les commentaires de son partenaire. « Donc ça serait l’option trois… Une âme extérieure serait rentrée en lui. »
« Ce qui s’accorderait avec l’idée de possession que j’avais vu plusieurs fois de mon côté. » Renchérit Maldwyn.
« Manquerait plus que ça : Hyun possédé. J’espère que c’est par quelqu’un de plus intelligent que lui au moins. »
L’Américain finit par donner une tape sur la tête d’Artémis.
« Mais maintenant, le truc, ça va être de trouver comment le sortir de ce merdier. »
« Tu veux dire comment sortir le merdier de lui, non ? »
« Belle-maman, moins de commentaires et plus d’actions seraient les bienvenus, tu sais. »
« Et comment tu veux qu’on agisse ? Ton copain est pas là et on sait pas quoi faire ? On l’envoie au Doc’ et il le dissèque pour sortir un truc qu’on sait même pas à quoi ça ressemble ? »
Maldwyn grogna.
« Hyun est dans son bureau, j’l’ai embarqué aujourd’hui. »
« Et tu l’as laissé seul ? On sait pas à qui appartenait l’âme qui est entrée en lui ! » S’exclama Usagi, se donnant l’impression d’être la voix de la raison – ce qui lui arrivait peu en temps normal.
« Tu crois quand même pas qu’il puisse être vraiment dangereux pour quelqu’un ici… » Répondit l’autre borgne sur un ton inquiet.
« On sait jamais. Va le chercher et ramène-le ici, il vaut mieux ne pas le laisser seul dans un moment pareil. »
« Roger ! » S’écria-t-il en réponse, ses pieds l’ayant déjà emmené à la porte.
Il continua sur sa lancée, n’attendant pas d’autres conseils ou remontrances de la part du couple et courut dans les couloirs de toute sa vitesse. Il ouvrit la porte du bureau de Hyun à la volée et se retrouva comme un con devant la pièce vide.
Il y avait des jours, il se disait que le Coréen avait parfois bien raison de le traiter comme un imbécile…
*****
Hyun était resté à peine cinq minutes dans son bureau avant d’en sortir. Il n’allait pas attendre comme un gentil petit chien quand il avait tant de choses à visiter…
Le premier jour où il était venu dans la société, il l’avait trouvé petite. D’accord, il y avait beaucoup de couloirs et de bureaux différents, mais finalement, peu d’entre eux étaient occupés et il était plutôt habitué aux grandes demeures. Il écoutait à peine la voix de l’autre homme qui le faisait visiter. Il se moquait bien de savoir qui résidait où dans le bâtiment, il ne comptait pas rester ici longtemps. Juste le temps de trouver les renseignements qu’il désirait et après, il pourrait se tirer.
Il regarda la porte du bureau qui lui était attribué et eut un reniflement méprisant. Il n’allait pas avoir besoin d’un bureau, surtout pas d’un placé à côté de celui de cet imbécile qui allait devoir lui servir de coéquipier.
« C’était y’a combien de temps ça ? Parce que semblerait que tu sois resté plus longtemps que ça au final ! T’es trop faible comme mec ! Voyons voir pourquoi, j’suis sûr ça sera intéressant ! »
Sa main se posa sur la porte du bureau voisin du sien. Juste une main pâle sur une porte grise.
Il ferma les yeux et son front rejoignit sa main sur la surface claire. Il n’aurait jamais cru qu’il regretterait un jour de ne voir personne dans ce bureau-ci.
Mais en ce moment précis, il aurait donné quoi que ce soit pour que le crétin qui l’occupe en temps normal soit ici plutôt qu’à l’hôpital.
« Mouahahahah ! J’aurais dû m’en douter ! C’est pour lui que t’es resté, hein ! Et t’es trop con pour t’en rendre compte ! »
Hyun s’arrêta brusquement et une main monta à son crâne, agrippant les cheveux clairs en une prise douloureuse.
« Hyun ? »
Le regard noir se releva aussitôt et tomba sur une grande silhouette. Le Vieux. Il ne manquait plus que ça. Le Coréen regarda autour de lui, et fronça les sourcils. Noland ne sortait normalement jamais de son bureau, qu’est-ce qui pouvait bien se passer pour qu’il le rencontre dans un couloir quelconque…
« Quoi ? » Répondit-il sèchement, de manière clairement agressive.
Le grand brun se contenta de lever un sourcil.
« Tu me cherches hein ?! » Grogna encore Hyun en voyant sa réaction.
Le patron eut un léger mouvement de recul qui mit le Coréen en confiance.
« T’es faible toi aussi. »
Il explosa d’un rire froid et reprit son chemin, jusqu’à ce que Noland l’appelle.
« Su Hyun. »
Il s’arrêta net et ferma douloureusement les yeux. La main que Noland posa sur son épaule lui fit l’effet d’un coup de poing.
Sa mâchoire le lançait encore alors que son regard se posa à nouveau sur son adversaire. Qui aurait cru qu’un type aussi large serait aussi rapide ! Il se redressa et se remit en position de combat. Il ne serait pas dit qu’il se laisserait faire par ce gars !
Il attaqua en premier cette fois-ci, misant quand même sur sa vitesse légèrement supérieur à celle de son opposant pour ce qu’il en avait jugé. Il parvint à le toucher à la tempe, le faisant légèrement chanceler, mais se prit un méchant coup en retour.
Autour d’eux, les spectateurs avaient des expressions diverses, entre l’admiration et l’effroi. Il ne pouvait pas se permettre de perdre, il n’était pas faible, il devait être fort pour réussir ce qu’il avait entrepris !
Il se redressa et darda son regard noir dans celui brun chaud de Noland. Il le vaincrait, pas seulement parce qu’il voulait ce job – bien au contraire, il se moquait bien de Phenomena à part pour les informations qu’il pourrait y glaner, mais surtout pour sa propre fierté et pour se prouver ses capacités. Il ne devait pas se laisser faire par le premier venu, son véritable ennemi était bien plus puissant que ça.
« Ne. Me. Touche. Pas !!! »
Il se dégagea de la main sur son épaule et se mit à courir dans le couloir. Il n’était pas sûr de pouvoir revivre un tel combat dans cet instant présent. Il ne se maîtrisait pas encore assez pour ça.
*****
Maldwyn parcourait les couloirs de la société à la recherche de son coéquipier. Il ne pouvait pas être si loin que ça, le bâtiment n’était pas si grand, surtout qu’Artémis et Usagi le cherchait aussi. Une idée germa dans son crâne et il se précipita alors vers le bureau d’Adam.
« Belette ! J’ai besoin de ton aide ! »
L’informaticien vira précipitamment Tristent de ses épaules pour se tourner vers lui. Maldwyn fronça légèrement des sourcils mais avait d’autres choses auxquelles penser en ce moment même.
« T’as un moyen d’avoir les images des caméras de surveillance de l’immeuble ? »
« Bien entendu. Mais tu crois vraiment que je n’ai que ça à faire ? » Répondit le blond en grognant.
« Je sais que tu t’en fous mais on a trouvé ce que Hyun a et j’ai besoin de le trouver dans l’immeuble. »
« Oh ! » S’exclama alors la jeune fille en s’accrochant au bras de Maldwyn. « Il a quoi alors ! Dis dis dis ! »
Maldwyn regarda la demoiselle accrochée à lui, qui l’observait de ses grands yeux bleu-gris, et poussa un long soupir.
« Semblerait qu’il ait été possédé par une âme… Ou un truc du genre. On ne sait pas qui ça peut être. Et pour l’instant, il se balade dans ce bâtiment sans aucune surveillance. »
« Vous êtes vraiment trop nuls. » Commenta Adam.
Mais l’informaticien s’était tourné vers ses écrans et commença les recherches.
« Il faut absolument qu’on le retrouve ! » S’exclama Tristent. « J’y vais ! »
Maldwyn la retint par le bras.
« Mais attends, c’est pour ça que je suis là, ça sert à rien de chercher dans le vent, il pourrait être n’importe où. »
« Mais mais mais ! »
« Il est au deuxième étage. Pas loin d’ici en fait. Le patron arrive d’ailleurs, il l’a peut-être croisé. »
Les mots d’Adam se virent confirmer dans les secondes qui suivirent avec la silhouette de leur supérieur qui se découpa dans l’encadrement de la porte.
« No ! Tu as vu Hyun ? »
Son père adoptif ne parut pas surpris et lui montra le fond du couloir du pouce.
« Là-bas. »
« Merci ! » S’exclama le borgne avant de le pousser légèrement pour pouvoir courir dans le couloir.
Tristent essaya de le suivre mais Noland la retint de la même manière que Maldwyn peu avant.
« Je vais avoir besoin de ton aide. »
« Mais Hyun est là-bas ! »
« Justement. » Fit-il en raffermissant sa prise. « Adam, j’ai une recherche pour toi. »
Sans discuter, le blond plaça ses mains sur le clavier, prêt à rechercher n’importe quoi.
*****
Maldwyn courut à toute vitesse, effectuant des glissades dignes des plus grand X-tremeurs à chaque tournant. Il ne tarda pas à tomber sur la silhouette fine de son coéquipier qu’il rejoignit à grandes enjambées.
« Hyun ! »
Le Coréen se tourna vivement vers lui et lui lança un regard sombre. Alors Maldwyn se dit que le mieux serait d’agir normalement avec lui, comme si tout était comme d’habitude, comme s’il n’avait pas été découvert. Pour l’observer, pour découvrir qui il était, pour voir si le vrai Hyun était toujours là ou non…
« Bah alors, t’étais où ?! J’suis allé te chercher à ton bureau mais t’y étais plus. Finalement, le Vieux nous verra pas aujourd’hui. Mais il a déjà du te le dire, nan ? Je l’ai vu dans le couloir juste avant. »
Hyun répondit d’un « Hn » peu expressif avant de reprendre sa marche, donnant un coup de pied dans un caillou imaginaire.
« J’l’ai juste croisé, il m’a rien dit. »
« Ah, okay. Tu faisais quoi là alors ? » Demanda alors Maldwyn qui suivit son mouvement.
« J’avais envie de marcher, ça te dérange ? »
« Pas du tout. J’me demandais juste où tu comptais aller et si je peux t’accompagner. »
« J’allais nulle part et ta présence n’est pas forcément la bienvenue, ça répond à tes questions ? »
« Plutôt bien oui. »
Ils marchèrent alors quelques pas en silence.
« Tu comptes me suivre toute la journée ? » Grogna le Coréen.
« Tu veux aller boire un verre ? »
« Parce que tu crois que j’ai envie de me trimballer avec un mec dans ton genre dans des bars. Dégage, tu pollues mon air là. »
Maldwyn sourit un peu, cachant sa tristesse derrière ces coins de lèvres relevés. Ca sonnait presque comme Hyun, ‘presque’ étant le mot principal.
Il ne savait plus trop comment réagir avec lui ; il avait envie de le prendre par les épaules et de le secouer comme un prunier pour faire sortir cet intrus du corps de son coéquipier mais il ne pouvait pas le faire sans savoir si ça marcherait ou pas. Il ne savait pas ce que ce type voulait mais il agissait presque comme Hyun sûrement dans l’espoir de rester dans le coin… Pourquoi, il n’en avait aucune idée mais il finirait bien par le découvrir en le laissant agir comme si de rien n’était.
« Allez, viens, ça fait longtemps qu’on a pas eu de journée calme, on peut bien passer une soirée au bar ! »
Hyun le regarda d’un air suspicieux. Il savait qu’il ne buvait pas en temps normal… Comme il savait que Maldwyn était un grand amateur de boissons alcoolisées. Il allait peut-être accepter ; il avait déjà visité presque tout ce bâtiment sans y trouver quoi que ce soit d’intéressant et être loin d’ici lui permettrait d’éviter à nouveau le grand type effrayant.
« … J’te suis. Mais tu payes. » Répondit-il finalement avant de s’avancer vers l’ascenseur.
Maldwyn réussit à sourire d’un air plus convaincant.
« Comme si ça allait changer de d’habitude ! »
*****
L’atmosphère du « 8ème péché » était toujours aussi enfumée mais cela n’empêcha pas Maldwyn de respirer à pleins poumons. Il se sentait chez lui ici. Il faut dire qu’il y avait travaillé pendant un bon moment, avant qu’il ne revienne à Phenomena. Il y avait passé la plupart de son adolescence, d’abord en client, puis en tant que barman. Il se dirigea vers le comptoir d’un pas habitué vérifiant juste d’un coup d’œil que Hyun le suivait bien. Le coréen ne semblait pas à l’aise, peut-être parce que la plupart des couples présents dans ce bar étaient composés de personnes du même sexe.
Ce n’était pas un bar homosexuel à proprement parler, mais la politique d’acceptation de tous les genres en avait fait un endroit reconnu pour cela… Surtout quand on rencontrait la Patronne. C’était une femme grande et belle, on pouvait même dire sexy avec ses airs exotiques venant du sang espagnol coulant dans ses veines, même si Maldwyn ne la voyait pas vraiment dans ce sens. Elle était un peu la mère qu’il avait perdue, s’occupant de lui de loin, un peu comme Noland… Toujours était-il que beaucoup des hommes venant dans ce bar avaient essayé d’entrer dans son cœur mais qu’elle les avait tous rejetés. A cause d’un vieux chagrin d’amour jamais oublié, pour ce qu’il en avait entendu. Elle régnait sur le 8ème Péché telle une reine mais tout le monde l’adorait, de par sa gentillesse et son intelligence. Maldwyn lui était énormément redevable et se dit que ça faisait un moment qu’il ne l’avait pas vue justement…
Il s’installa au bar et fit un grand sourire au barman.
« Hello toi ! » Fit-il en tendant une main à son ami.
Sion l’attrapa et ils partagèrent leur poignée-de-main-secrète-de-quand-ils-étaient-plus-jeunes. Ils se relâchèrent avec un éclat de rire et Maldwyn commanda alors sa boisson habituelle.
Hyun s’était installé à côté de lui, jetant sur les alentours un regard de bête traquée, ce qui fit intérieurement marrer l’Américain.
« Et ton copain, il prend quoi ? » Demanda le barman en zieutant le Coréen d’un air pas convaincu.
« Il va prendre comme d’habitude aussi, hein. N’est-ce pas Hyun ? »
Hyun se tourna vers lui avec un air étonné mais finit par se ressaisir et acquiesça.
« J’vois pas pourquoi je prendrais autre chose, tu le sais bien. » Grogna-t-il d’une manière presque convaincante.
Plus Maldwyn le voyait, plus il se demandait comment il avait pu croire que son coéquipier allait bien. C’était si clair que c’était quelqu’un d’autre que ça faisait mal de le voir ainsi… Il reporta son regard sur Sion qui semblait un peu perdu, Hyun n’avait jamais été un habitué à cet établissement et il n’avait aucune idée de ce qu’il devait lui servir.
Heureusement, un clin d’œil de la part de Maldwyn le rassura. Il se passait encore un truc louche autour d’eux et il n’était pas sûr de vouloir en savoir plus. Il appellerait peut-être Maldwyn sur son portable plus tard, s’il n’arrivait pas à lui parler seul à seul. Il savait qu’il y avait des moments où il valait mieux qu’il ne se mêle pas des affaires de son ami – Maldwyn lui avait bien fait comprendre qu’il ne voulait pas le mettre en danger plus que nécessaire, mais il savait aussi que l’Américain avait parfois besoin de soutien dans tout ça… Surtout vu ses sentiments fluctuants à propos de son coéquipier. Coéquipier qui semblait encore plus hargneux et étrange aujourd’hui que les autres jours où il l’avait rencontré.
Il lui prépara alors un classique de la maison ‘douceur des îles’, goût simple qui plaisait à la plupart, légèrement alcoolisé mais pas assez pour qu’on s’en rende compte. Il avait déjà vu pas mal de clients se saouler assez vite sans même s’en rendre compte à cause de cette boisson. Le Coréen grommela un remerciement et reporta son attention sur le reste du le bar, comme si c’était la première fois qu’il entrait dans un établissement pareil.
Sion se tourna à nouveau vers Maldwyn et lui fit un petit signe pour qu’il se penche sur le comptoir.
« Tu veux m’en parler ? » Murmura-t-il à son meilleur ami en faisant un geste du menton vers le Coréen.
Maldwyn lui répondit d’un sourire légèrement triste.
« Tu crois que le nouveau pourrait le surveiller pendant qu’on parle ? »
« Le nouveau s’appelle Jack et ça fait plus de trois ans que tu le connais, Mald’… Mais je pense que c’est possible oui. »
Sion se redressa et alla parler quelques secondes avec son propre coéquipier de comptoir qui prit rapidement sa place, lui faisant juste bien remarqué que c’était bien parce qu’il n’y avait pas beaucoup de clients qu’il le lui permettait.
Maldwyn posa une main sur l’épaule de Hyun qui sursauta. Maldwyn se mordit l’intérieur de la lèvre devant ce réflexe si étrange chez le Coréen.
« Je vais aux chiottes, fais pas de bêtises en mon absence. »
« T’étais pas obligé de préciser, va chier et fous-moi la paix. » Répliqua son coéquipier en lui lançant un regard dégouté.
Maldwyn eut un petit rire amusé et se dirigea vers les toilettes mais tourna juste avant, par la porte réservée aux personnel. Peu de choses avaient changé de ce côté-ci du mur, les mêmes étagères emplies de bouteilles, le même bureau où des piles de papiers et factures s’entassaient, le même serveur qui lui souriait de toutes ses dents, son tablier soigneusement lacé autour de lui.
« Ca fait un moment que t’es pas venu ici, hein ? »
« Ouais, mais ça n’a pas changé. A part la poussière qui s’accumule, plus personne n’a fait le ménage depuis que je ne suis plus là ? »
« Eh, on n’est pas tous aussi amis avec les plumeaux que toi. Mais ne t’occupe pas des étagères et parle-moi de ce qu’il se passe. »
L’Américain eut un petit éternuement et posa sa main sous son nez pour essayer de bloquer quelque peu l’arrivée de poussière à ses narines. Il essaya d’ignorer les fourmis qui lui arrivaient dans les mains à l’idée de nettoyer le bureau et regarda Sion. Son ami avait l’air inquiet et ses sourcils froncés étaient une expression qu’il n’était vraiment pas habitué à voir.
« Y’a rien de grave, t’en fais pas comme ça. »
« Maldy, je te connais comme si je t’avais fait naître. Les seules fois où je t’ai vu pleurer, c’était pour des histoires de cœur et si l’autre crétin est impliqué, ça risque bien d’arriver. »
Maldwyn eut un rire sonnant faux. Sion le connaissait trop bien…
« Je compte pas pleurer pour lui t’en fais pas, il en vaut pas la peine. »
« Ca, je le savais déjà, dis-moi plutôt quelque chose de neuf. »
« Et bien… » Commença-t-il en réponse en s’adossant au mur. « Comme tu l’as deviné, c’est en rapport avec Hyun, il lui arrive un truc bizarre… Je sais pas si je peux t’en dire plus mais ça l’a changé… »
« Et tu le trimballes comme ça avec toi ? » S’exclama Sion d’un air choqué.
« Je préfère le garder avec moi plutôt que de le laisser en liberté tout seul ou de l’enfermer. Je t’ai déjà parlé de son comportement autodestructeur, ça m’étonnerait qu’il se laisse faire même s’il n’est plus vraiment lui-même. »
« … Je comprends pas tout là… »
« Normal, J’t’ai pas tout dit… Enfin bon. Toujours est-il que j’ai improvisé et que je me suis retrouvé là… »
« Je ne sais pas si ça doit me faire plaisir que tu sois venu me voir dans ce genre de cas… »
« Eh, c’est que je te fais confiance ! Réjouis-en-toi ! » Fit Maldwyn avec une joie sonnant on ne peut plus faux.
Sion répliqua d’un roulement exaspéré des yeux au ciel. Maldwyn était un boute-en-train depuis toujours mais parfois, il prenait ce rôle bien trop à cœur même s’il ne savait pas le jouer.
« Qu’est-ce que je peux faire pour toi alors ? »
« Rien. Comporte-toi normalement et soutiens-moi, c’est tout. Je voulais juste changer un peu d’environnement pour voir ses réactions. »
« Mouais… » Répliqua le Japonais avec une moue peu convaincue. « Tu sais que tu peux compter sur moi, hein ? »
« Bien entendu. »
Sans aucune hésitation, ils se firent une accolade des plus fraternelles, profitant bien de la présence rassurante de l’autre.
Ils se séparèrent et échangèrent un sourire complice. Ils avaient tant partagé et se connaissaient si bien qu’ils n’avaient pas besoin de plus de mots. Ce genre de petits moments avait manqué à Maldwyn, lui qui n’avait plus trop de temps à cause de son boulot ; il était vraiment heureux de voir que rien n’avait changé.
Mais leur moment de tranquillité fut soudainement troublé par un cri qui résonna au dessus de la musique de fond tranquille. En moins d’une seconde, Maldwyn était hors de la pièce.
Il avait reconnu la voix de Hyun.
*****
Il aimait plutôt bien cet endroit, c’était plus vivant que les bureaux miteux où ils travaillaient. Et il n’y avait pas de géant agressif ici.
En plus, Maldwyn était parti pisser et le serveur qui semblait être son pote avait disparu, il était tranquille tout seul et allait en profiter. Il allait se lever pour se rapprocher de la scène quand sa tête le lança subitement.
Il haïssait cet endroit. Trop de gens, une musique de merde et ils n’avaient même pas de thé glacé. Et cet idiot de Maldwyn n’était même pas là, il ne pouvait passer ses nerfs sur personne. L’autre serveur, le roux qui semblait si incongru dans ce décor, lui demanda s’il allait bien.
Est-ce qu’il avait l’air d’aller bien là ?!!! Son mal de tête s’aggrava.
Il n’avait pas vu grand-chose à part une main.
Une si petite main. Si pâle. Si morte.
Il avait hurlé, son portable avait glissé de sa main sans même qu’il ne s’en rende compte et s’était écrasé au sol et éparpillé : le couvercle de la batterie volant loin de lui et celle-ci ayant décidé de recouvrer une liberté inutile au beau milieu d’une flaque d’eau.
Il avait voulu courir vers elle, la prendre dans ses bras, remettre un peu de couleur sur ses joues qu’il imaginait aussi pâles que sa main, mais un policier l’avait soudainement pris par les épaules et l’avait retenu en arrière. Il avait hurlé, crié qu’il la connaissait, qu’il voulait la voir, qu’il avait besoin de voir si c’était vraiment elle, si elle était vraiment morte, si c’était vraiment sa sœur.
On ne lui permit pas et il en souffrit tant. Cela l’enragea tant.
Il refusa d’aller à son enterrement, au lieu de cela, il prépara ses bagages. Il avait entendu les conclusions du légiste et n’y croyait pas. Il avait vu le lieu du crime lui-même, il avait vu le sang, partout, s’écoulant entre les pavés ; bien trop de sang pour un simple meurtre, bien trop pour que ça soit un humain qui l’ait perpétré…
Il allait trouver qui ou qu’est-ce qui avait fait ça et il allait le faire baver.
Un sourire fou s’étala sur son visage quand il rangea précautionneusement son arme dans son sac.
Il avait un genou à terre quand Maldwyn le rejoignit, il avait chaud et sa tête l’élançait encore beaucoup ; il avait l’impression qu’on lui donnait des coups de marteau de l’intérieur de son crâne, comme si un nain maléfique habitant son cerveau essayait d’y creuser un trou pour pouvoir sortir.
La voix de l’Américain l’irritait encore plus. Qu’est-ce qu’il avait à crier comme ça ?! Il n’allait pas mourir, pas encore ! Ces souvenirs lui avaient rappelé pourquoi il avait commencé tout ça, pourquoi il était resté et quel était son vrai but. Il n’allait pas mourir si facilement sans avoir rempli sa mission !
Il repoussa la main de Maldwyn d’un geste sec et se redressa - trop vite, il dut se retenir au comptoir pour ne pas retomber. Il repoussa tous les essais de l’Américain qui se prenait pour une maman poule et finit par le frapper, durement, en plein ventre.
Le geste aggrava son mal de crâne mais il en avait assez de cet imbécile qui le prenait pour un infirme. Ainsi, il lui démontrait sa force, son indépendance.
Il se dirigea alors vers la sortie du bar, repoussant tous les autres assauts contre lui – de la part des serveurs et même de certains clients. Il avait besoin de respirer, il avait besoin de marcher, il avait besoin de faire le point avec lui-même.
Et avec cet autre aussi.
*****
Le coup avait porté de manière à faire mal, et cela Maldwyn le ressentait bien. Il était plié en deux au sol, de la bile remontant douloureusement par sa gorge, la respiration difficile, mais bizarrement, ça le rassurait.
Ca, c’était Hyun. Cette colère renfermée en ce corps si fin, cette violence aussi bien par les mots que les gestes, ce refus entêté de l’aide… Il avait l’impression de le retrouver après des années passées en son absence, des retrouvailles douloureuses, amères.
Sion l’aida à se relever et il l’en remercia de quelques mots avant de se diriger à son tour vers la porte en trottinant comme il pouvait, un bras toujours pressé sur son ventre. Il sortit son portable de sa poche et enclencha la fonction répétition.
« 8ème Péché, il s’est tiré et je l’ai perdu de vue. »
Il raccrocha aussitôt, sachant parfaitement que son locuteur devinerait de quoi il parlait. Un coup d’œil de chaque côté de la rue et il s’engagea vers la gauche : le chemin le moins peuplé était le plus probable. Sa respiration était revenue et la douleur avait reflué, il pouvait maintenant courir à un rythme à peu près normal.
Ce qu’il fit aussitôt. Hyun avait pris une bonne avance, qui savait où il avait pu se tirer…
*****
Les articles défilaient devant les yeux d’Adam, peu nombreux comparés au nombre d'impressions qu’il avait sorties pour Maldwyn le jour précédant. Cette fois-ci, il savait ce qu’il cherchait et, même si le sujet ne lui plaisait pas tant que ça, il pouvait ne chercher que ce qui l’intéressait vraiment.
Il affina encore sa recherche d’un mot-clé et réussit à avoir un article digne de son attention.
Il le lut avec soin, prenant bien tout en compte. Il y avait du bon à avoir accès aux rapports de police, il savait maintenant tout ce qu’il s’était passé dans cette maison…
Il suffisait de faire quelques recoupements avec les autres informations qu’on lui avait données et voilà, il avait résolu le problème. Il réunit ces renseignements dans un seul et même document et l’imprima.
Il s’empara de la feuille d’un geste sec et se leva de sa chaise confortable pour s’étirer. Ses épaules étaient raides et il n’aurait sûrement pas dit non à un massage – sauf si c’était Tristent qui lui proposait, juste par principe.
Il ouvrit la porte de son bureau et plissa les yeux face à la lumière du couloir. Il étouffa un bâillement et se dirigea vers l’ascenseur du fond. Il allait donner ça au Boss et irait ensuite faire un somme. Il avait besoin d’au moins deux heures de sommeil là, après tout ce boulot.
*****
Maldwyn s’était aventuré dans les petites rues, fouinant dans chaque recoin pour vérifier qu’il n’y avait pas une touffe de cheveux blancs qui se planquait. Le stress commençait à monter en lui et il chercha fébrilement une cigarette dans sa poche. Il jura en voyant qu’il ne lui restait plus qu’un petit cylindre noir dans le paquet mais il le prit et l’alluma sans aucune pitié. Il faudrait qu’il s’en rachète bientôt…
La nicotine emplissant ses poumons le calma légèrement mais il ne pouvait pas empêcher ses doigts de se crisper sur son Zippo et de l’ouvrir à intervalle régulier, le clac du couvercle se refermant créant un rythme rapide qui se calquait presque avec sa respiration. Il se concentra sur eux et les força à remettre le briquet dans sa poche et se mit à réfléchir. S’il prenait en compte l’esprit de Hyun, il n’avait aucune idée d’où le Coréen avait pu aller… Mais vu que ce n’était peut-être pas lui aux commandes, il pouvait peut-être deviner. L’esprit qui possédait Hyun faisait parti de ceux qui hantaient la maison qu’ils avaient exorcisée… Le plus simple serait peut-être de commencer par là.
Il allait vaillamment s’élancer à pied en direction de l’endroit-source de leurs ennuis quand il entendit un crissement de pneus et un bruit de tôle froissée venir de la rue juste derrière lui. Il se retourna vivement pour voir s’il y avait eu un accident mais il ne put observer qu’une voiture, emballée tel un cheval fou, foncer droit sur lui.
Par réflexe, il sauta sur le côté de la route, droit dans un tas de poubelles. Cela lui sauva la vie, la voiture s’arrêtant dans un fracas épouvantable pile poil à l’endroit où il se trouvait quelques secondes plus tôt.
Une petite tête en sortit, accompagnée d’un énorme sourire.
« Mald-niisan ! T’es là ! »
L’Américain se dégagea de son tas d’ordure, vira un truc gluant qu’il ne voulait pas identifier qui s’était installé dans ses cheveux et jura en sentant sa main glisser sur le sol quand il s’appuya dessus pour se redresser. Une main entra brusquement dans son champ de vision et il l’attrapa aussitôt pour se faire tirer debout presque sans aucun effort de sa part.
Une fois stable sur ses pieds, il regarda son assaillante ; Tristent semblait plus heureuse que jamais et sautillait en face de lui, un sourire allant d’une oreille à l’autre sur son visage.
« Depuis quand tu as ton permis ? » Demanda-t-il d’un air suspicieux en se débarrassant des derniers déchets qui ne voulaient pas se séparer de lui.
« Je ne l’ai pas, mais je sais conduire ! »
Maldwyn portant une main à son front en sentant une migraine arriver.
« Rassure-moi… Tu as décidé seule de venir, c’est pas le Vieux qui te l’a demandé, non ? »
« Bien sûr que si ! Il m’a même dit de faire vite ! »
Ses tempes lui firent encore plus mal quand il essaya de comprendre ce qui avait bien pu passer par l’esprit de Noland quand il avait envoyé la gamine ici en voiture.
« On a pas le temps de discuter comme ça. Il faut ramener Tristent à Phenomena et ensuite chercher Hyun. »
Maldwyn sursauta en entendant la nouvelle voix. Il ne pensait pas l’entendre à l’extérieur un jour.
« Belette ?! » S’exclama-t-il, on ne peut plus surpris. « Tu survis à l’extérieur de ton bureau ?! »
Adam grogna en face de lui, le bras posé sur la portière encore ouverte.
« Très drôle, mais dépêchez-vous plutôt de retourner dans cette vieille carcasse, on a pas que ça à faire, je viens de vous dire. »
Maldwyn agit aussitôt, se précipitant vers la place du conducteur pour ne pas laisser Tristent recommencer ses actions kamikazes.
« Tu peux me dire ce qu’il se passe ? » Demanda-t-il finalement une fois le moteur lancé et la voiture se dirigeant vers leur société, Tristent accrochée à l’arrière du siège passager où se trouvait Adam.
« J’ai un moyen de retrouver Hyun mais Noland a encore besoin de Tristent. Je sais pas conduire alors elle a du m’emmener. »
Maldwyn lança un regard en coin au gamin. Ca ne l’étonnait même pas qu’il ne sache pas conduire… Mais qu’il ait accepté de se laisser emmener par Tristent, ça, il avait du mal à le concevoir.
« Usagi ou Artémis ne pouvaient pas te conduire ? »
« ‘Sont occupés… »
« Attis ? »
« Il refuse de sortir de son labo pour une raison pareille. » Lui apprit Tristent. « Semblerait qu’il soit sur une recherche importante ! Mais t’en fais pas, Maldy, j’ai presque fini d’apprendre ce que Noland veut que je sache ! »
« Et qu’est-ce qu’il veut que tu saches ? » Répliqua-t-il en fronçant des sourcils.
« C’est secret ! »
Le ton qu’elle utilisait était si spécifique qu’il pouvait presque voir le petit cœur qui ponctuait sa phrase.
« Okay… »
Il les conduisit alors de façon rapide mais beaucoup plus sûre à leur société, leur expliquant au passage ce qu’il s’était passé dans le bar.
« Princesse, je te fais confiance, tu le sais hein ? »
« Bien entendu Mald-nii. Et je vais te prouver que tu as bien raison de le faire ! »
Il échangea une poignée de main avec sa sœur d’adoption, ils n’avaient pas besoin de plus de mots pour se comprendre. La jeune femme se dirigea en trottinant vers le grand bâtiment et les deux hommes reprirent leur route.
« Alors, c’est quoi ton moyen pour le retrouver ? »
« S’il a son portable allumé, je peux le retrouver n’importe où. »
« Eh ? »
« Trop compliqué à t’expliquer, tu comprendrais pas. T’as juste à savoir que je peux le faire et qu’il se trouve pas si loin que ça. Tourne à gauche là. »
Maldwyn décida que ça ne lui servirait à rien d’en savoir plus. Il allait faire confiance à Adam et à la petite machine rectangulaire qu’il tenait dans ses mains, où un petit point rouge clignotait au milieu de l’écran. Le seul problème était qu’il ne savait toujours pas ce qu’il pourrait faire pour aider Hyun quand il le retrouverait…
*****
« Je peux savoir pourquoi j’ai du t’accompagner ? » Demanda Artémis l’air de rien en entrant dans une nouvelle pièce poussiéreuse.
« Parce que Nounours a décidé que c’était trop dangereux tout seul ? » Répondit son coéquipier en sortant la tête de l’armoire qu’il venait de fouiller.
« Tu y étais pourtant allé seul la première fois… »
« Mais on savait pas qu’y’avait des esprits possédeurs la première fois… »
« Bah, tes esprits, j’en ai pas vu un seul. »
« Normal, t’arrive pas à les voir déjà en temps normal. »
« Toi non plus. »
« ‘Témis… tu sais que je t’aime et tout ça… Mais aide-moi à fouiller au lieu de déblatérer des choses qu’on sait déjà. »
Il accompagna son conseil d’un baiser soufflé et ouvrit un nouveau tiroir pour en fouiller l’intérieur. Leur mission était de trouver des preuves de l’identité des occupants. Pas facile après le passage de la Police.
Mais Artémis poussa alors un petit sifflement en voyant ce qu’il venait de trouver dans un des tiroirs.
« Regarde-moi ça. »
Usagi le rejoignit en sautillant et s’appuya sur son épaule pour regarder par-dessus.
« Et bien voilà, on a trouvé ! »
Ils allaient pouvoir rentrer retrouver les autres maintenant, comme Noland leur avait demandé. Ils pouvaient être fiers d’eux, un livret de famille, ils n’auraient pas pu faire mieux niveau identité.
*****
La course après Hyun les avait conduits dans un quartier résidentiel. Maldwyn se dit qu’il n’était vraiment pas mauvais quand il reconnu le voisinage de la ‘maison hantée’. L’esprit semblait vraiment essayer de retourner vers un lieu connu.
Ils étaient descendus de la voiture, les rues n’étant maintenant plus l’idéal pour le retrouver. Adam était devant lui, son dispositif à la main, le regard fixé dessus.
« Eh, Belette, si tu regardes pas où tu mets les pieds, tu vas te casser la gueule. »
« Ta gueule, j’ai pas besoin de ton avis. »
Un trébuchement plus tard et Maldwyn était prêt à exploser de rire malgré la situation. Pourtant, l’informaticien ne semblait pas vouloir quitter son écran des yeux. Peut-être que ça le rassurait alors qu’il était si à découvert à l’extérieur.
« Là ! »
Le cri du blond sortit Maldwyn de ses pensées qui se recentrèrent toutes sur Hyun. Il leva les yeux vers le bâtiment en face de lui et fronça les sourcils.
« Eh ? »
Il avait une preuve de plus que Hyun n’était pas au contrôle de son corps. Jamais il ne serait rentré dans un asile psychiatrique de lui-même si c’était le cas.
*****
Ses pas étaient lents et peu assurés, sa main était fortement appuyée contre le mur, soutien indispensable pour ne pas tomber. Les murs trop blancs lui agressaient les pupilles, le forçant à garder les yeux fortement fermés.
« Fous-moi la paix ! »
« Arrête de résister ! Tu n’as pas le droit de résister ! Je contrôle ton corps maintenant, tu es à moi ! »
Des visions passèrent en boucle devant ses yeux.
Une main trop pâle, une marre de sang, cette douleur qui lui traversait le corps et le cœur. Des chairs ensanglantées, un hurlement – peut-être même le sien.
Une nouvelle douleur envahit son visage, plus vraie, plus douloureuse encore. Son poing s’était écrasé sur sa propre joue, dans un craquement trop sonore pour être anodin. Du sang s’écoula subitement de ses narines, inondant son menton et sa chemise, se noyant dans le noir de celle-ci. La douleur obscurcit légèrement son esprit mais celui-ci lui sembla soudainement plus clair.
Jusqu’à ce qu’un autre cri retentisse. Beaucoup plus aigu, il l’alarma quand il n’en trouva pas la source en lui. Un regard aux alentours lui apprit qu’une infirmière l’avait vu et partait en courant, vraisemblablement pour appeler la sécurité.
Il allait faire demi-tour quand un hurlement lui ôta toute force dans les jambes. Celui-là venait directement de son esprit et agit sur lui comme jamais, le clouant au sol.
« Parasite… » Grogna-t-il en donnant un coup de poing dans le sol.
« Tu es à moi ! »
La voix qui s’échappait de ses lèvres était bien différente de la sienne, plus aiguë, plus jeune. Il sentit son corps essayer de se redresser et il ne combattit pas le mouvement, bien au contraire, il l’accompagna mais ne se tourna pas comme l’autre esprit le souhaitait, il resta fixé vers la porte par laquelle il était entré et essaya d’avancer.
« Non, on reste ! Je ne peux pas partir sans l’avoir vu ! »
« Va. Te. Faire. Foutre. »
Chaque mot accompagnait un de ses pas, témoignages de sa reprise de pouvoir sur son propre corps. Son bras s’enroula autour de lui-même, comme pour le retenir sur place.
« Je veux le voir ! »
Il répondit d’un grognement et fit un pas de plus.
« Arrête-toi ! » Hurla une voix derrière lui.
Un grand type habillé d’un uniforme de garde courut vers lui et s’arrêta à quelques mètres, les mains levées pour lui prouver ses intentions pacifiques.
Hyun lui lança un regard noir et l’ignora en se tournant à nouveau vers la porte. Sa bouche s’ouvrit et un long cri en sortit, gémissement presque pitoyable. Le garde s’approchait un peu plus, prêt à se jeter sur lui, quand le cri changea et se transforma en hurlement de rage.
Les images se jetaient à nouveau contre ses pupilles, images de sang, de désespoir, de douleur…
Il se jeta contre le mur, fermant fortement les paupières, inutilement vu que tout provenait du plus profond de son propre esprit. Des mains se refermèrent autour de ses bras, il les repoussa violemment et retira ses armes de leurs étuis pour les pointer sur le garde.
Il rouvrit les yeux pour voir la réaction de celui-ci et bloqua.
Devant lui, comme entourée d’un halo de lumière, une jeune fille le regardait de ses grands yeux noirs. Ses longs cheveux blancs encadraient son visage fin où quelques dernières rondeurs enfantines témoignaient de son âge à la limite de l’adolescence.
« Grand-frère… »
Elle fit un pas vers lui et leva une main fine, une main dépourvue de sang, une main vivante et dont il pouvait se rappeler la douceur.
« Miyong… » Murmura-t-il de façon à peine audible.
Il ne voulait pas y croire, elle ne pouvait pas être devant lui en ce moment même… C’était tout simplement impossible…
Elle fit un nouveau pas et sa robe fine voleta doucement autour d’elle. Tout aussi blanc que sa peau, le tissu la rendait encore plus irréelle, tel le fantôme qu’elle devait être.
« Grand-frère… » Répéta-t-elle de sa voix douce.
Un engrenage cliqua dans l’esprit de Hyun. Miyong ne pouvait pas être là. Sa sœur était morte. Par sa faute.
Et elle n’a jamais su parler japonais.
Ses armes toujours pointées devant lui, il n’hésita pas une seconde de plus. Une balle dans la jambe, l’autre dans l’épaule, Miyong disparut aussitôt, remplacée par la silhouette plus massive du garde qui s’écroula.
« Salopard… » Grogna-t-il envers son ennemi invisible.
Les coups de feu attirèrent bien entendu plus de gens, ce qui valait mieux pour le garde blessé que des médecins purent prendre en charge aussitôt. Deux autres agents de sécurité avaient été également rameutés et essayaient de maintenir le calme tout en le surveillant.
« Tu ne devais pas être aussi fort ! C’était ta sœur ! Pourquoi tu l’as attaquée ?! » S’exclama-t-il soudainement.
« Ta gueule ! » Se répondit-il en se tenant la tête entre les mains, sans lâcher ses armes.
Un médecin se détacha du lot et le détailla du regard d’un air intrigué.
« Tu étais faible, faible ! Je suis plus fort que toi, c’est pour ça que je suis là ! »
« TA. GUEULE ! »
Un garde essaya de retenir le docteur en arrière mais celui-ci lui fit signe de le laisser. Il s’avança encore un peu plus vers Hyun qui le pointa aussitôt de ses flingues.
« Sayori ? »
« Yamanaka-sensei ! »
Le désespoir de sa voix contrastait grandement avec son expression fermée.
« Yamanaka-sensei ! Aidez-moi ! »
« Je ne sais pas qui t’es mais si tu t’approches, je te flingue. »
Le médecin s’arrêta net et sembla étudier la situation. Mais il n’eut pas le temps de lui trouver une solution. La porte de verre de l’entrée avait explosé et le temps que tout le monde se protège des éclats volants vers l’intérieur, deux personnes étaient entrées et le docteur Yamanaka fut assommé d’un coup sec sur la nuque.
Les gardes réagirent aussitôt alors que les autres médecins et infirmières fuyaient vers l’intérieur du bâtiment. L’un des agents sortit un bâton qui ne resta pas longtemps dans sa main – une autre présence l’avait attrapé et s’en servit pour l’assommer également. Un quatrième homme sortit de l’ombre pour attaquer l’autre des gardes, le mettant K.O. après quelques échanges.
Hyun lança un regard blasé aux nouveaux arrivants alors qu’un gémissement plaintif sortit de sa bouche.
*****
Maldwyn avait pu voir ce qu’il se passait à travers la porte vitrée et il savait qu’une entrée normale ne ferait qu’aggraver les choses. Vu l’état où en était la situation, il devait agir fort, et vite.
Il lança un regard à Adam qui ne semblait pas décidé à l’aider et prit sa décision. Il attrapa un rocher de la décoration entourant le bâtiment et le jeta dans une vitre, la faisant exploser sous le choc. Sans attendre que la surprise retombe, il se jeta à travers les bouts de verre et attaqua celui qui se trouvait le plus proche de Hyun.
Il allait s’occuper des autres quand il entendit le bruit de corps tomber à terre. Un regard en arrière lui appris qu’Usagi et Artémis les avaient rejoints. Il ne savait pas comment mais il faisait confiance à Noland pour les avoir prévenus. Artémis lui lança un document, que l’Américain attrapa par réflexe, avant de s’avancer un peu plus dans le couloir.
« On s’occupe du reste du bâtiment, occupe-toi de Hyun avant qu’on arrive plus à retenir les autres. »
Et ils le laissèrent en plant avec son coéquipier. Il jeta un coup d’œil aux papiers qu’Artémis lui avait lancé et, ne comprenant pas trop à quoi ils servaient, il les envoya à Adam pour avoir les mains libres. Il s’approcha ensuite de Hyun et lui tendit une main que le Coréen ignora superbement, son regard ne lâchant pas des yeux le corps du docteur aux pieds de Maldwyn.
« Yamanaka-sensei… » Gémit-il d’une voix totalement différente de la sienne.
« Semblerait qu’il soit réellement possédé. » Remarqua Adam d’un ton froid en rejoignant l’Américain.
« Ca, je le savais déjà. »
L’attention de Maldwyn était entièrement portée sur Hyun, il compléta son mouvement et posa sa main sur l’épaule de son coéquipier qui réagit à peine au contact.
« Hyun, réveille-toi. »
« Laisse-moi…. »
Le corps du Coréen se recroquevilla et avança la main vers le docteur.
« Yamana… » Commença-t-il à gémir.
Mais Maldwyn en eut assez de cette comédie et lui attrapa les épaules pour le secouer.
« Putain Hyun, t’es pathétique là ! »
« Laisse-moi ! »
Son coéquipier essaya de se dégager de son étreinte mais il tint bon et lui redressa le visage d’une main.
« Hyun, réveille-toi ! J’ai besoin de toi ! »
Les yeux noirs se posèrent sur lui, le regard doux.
« Tu devrais savoir ce que c’est d’aimer pourtant. »
La main du coréen s’avança lentement jusqu’à caresser le cache-œil avant de se poser sur la joue de Maldwyn en resta muet de stupéfaction. Il ne s’attendait pas à une réaction pareille, pas de la part de Hyun. Son esprit savait bien que ce n’était pas vraiment Hyun mais ce qu’il avait sous les yeux semblait si réel qu’il aurait aimé y croire.
Heureusement, le pragmatisme d’Adam frappa une nouvelle fois.
« Quand tu auras fini de le draguer, on pourra peut-être l’exorciser. »
Maldwyn se dégagea de la main contre son visage et s’éloigna légèrement, l’air furieux.
« Ce n’est pas comme ça que tu m’auras. »
Il ignora les commentaires peu glorieux de l’informaticien derrière lui et se redressa, joignit les mains et commença les prières qu’il connaissait en espérant que ça marcherait. Il en aurait croisé les doigts si ceux-ci ne faisaient pas entièrement partie du processus.
*****
Adam s’éloigna à une distance jugée sûre et observa ce qu’il se passait d’un œil critique. Le charabia que Maldwyn leur sortait ne semblait pas très efficace vu le rire qui s’empara de Hyun. C’était étrange de voir le Coréen rire ainsi, il était plus habitué à le voir faire la gueule. En tout cas, ça ne lui allait pas du tout. Enfin, c’était surtout cette voix aiguë qui ne lui allait pas.
Il regarda autour de lui, légèrement ennuyé – Maldwyn allait perdre et il ne pouvait rien y changer, il serait mieux devant son ordinateur que là à s’emmerder, et se décida à regarder le document qui lui avait été lancé. Un livret de famille… Mouais. Il l’ouvrit et le feuilleta, n’y remarquant rien de spécial, jusqu’à tomber sur une page où un nom attira son attention.
En face, Hyun s’était finalement levé et semblait prêt à frapper Maldwyn. Adam les ignora à nouveau et se concentra sur la page qu’il lit et retint dans les moindres détails. S’il ne se trompait pas, cela pourrait aider.
Ceci fait, il se désintéressa complètement de la bagarre qui se déroulait non loin de lui et regarda vers l’extérieur, entre les restes de la porte vitrée, pour se changer les idées et penser au nouveau jeu online qu’il avait réussi à craquer. Il cligna des yeux quand quelque chose entra dans son champ de vision. Un mouvement de recul instinctif s’empara de lui quand il reconnut la silhouette qui s’avançait vers le bâtiment. Il savait que Tristent devait les rejoindre plus tard mais ça ne changeait pas le fait qu’il aurait préféré ne pas la voir.
Il la vit hésiter à l’entrée avec sur le visage un air légèrement apeuré qu’il était rare de voir chez elle. Jusqu’à ce qu’elle voit Hyun et Maldwyn. Un sourire grandit sur ses lèvres jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’ils se battaient. Elle entra dans le bâtiment en courant, passa en coup de vent devant Adam, qui fut légèrement soulagé de ne pas être le centre de son attention pour une fois, et sépara les deux opposants.
L’informaticien reporta donc son attention sur le groupe. Pas que ça l’intéresse au plus haut point mais Tristent était parmi eux…
*****
L’être en Hyun avait fini par décider que la violence serait peut-être la meilleure solution pour être en paix et Maldwyn le détesta pour ça. Il voyait bien que Hyun n’était pas au meilleur point, vu le sang qui le maculait, et il ne tenait pas à l’abîmer plus que ça. Si c’était vraiment Hyun, il n’aurait pas hésité à lui foutre une bonne droite pour le calmer mais là, le Coréen n’y était pour rien. Il maudit une fois de plus cet esprit qui avait osé s’en prendre à Hyun et para un nouveau coup.
Même dans la force des assauts, il pouvait sentir la différence. Etrangement, l’esprit avait plus de considération que Hyun envers son propre corps. Les coups étaient moins sauvages, faits pour ne pas blesser son enveloppe corporelle, au contraire de Hyun qui avait des tendances kamikazes.
Il lui fallait s’habituer à un tout autre style de combat, ce qui lui prit quelques instants où ses défenses n’étaient pas aussi bonnes que d’habitude. Heureusement, son adversaire ne sut pas profiter de ses faiblesses, ce qui apprit à Maldwyn que ce n’était sûrement pas un combattant.
Il allait enfin lui porter un coup quand une silhouette les sépara. Il sourit en reconnaissant Tristent mais garda sa pose de combat, prêt à la protéger de l’imposteur au cas où – même s’il savait qu’elle pouvait très bien se débrouiller toute seule, le syndrome du chevalier servant était parfois profondément ancré en lui.
« Trist’, qu’est-ce que tu fais là ?! »
« Je viens exposer mon secret ! » S’exclama la jeune fille en sautillant sous les yeux écarquillés du possédé.
Et sans autre introduction, elle sortit une petite croix de son corsage et commença à psalmodier des formules dont Maldwyn n’avait jamais entendu parler. Il crut reconnaitre du français dans ses phrases mais vu le débit de parole de la jeune fille, il ne pouvait pas en être sûr.
Sachant qu’il ne pouvait rien faire pour aider Tristent, il observa la réaction de Hyun à ses paroles et ne sut s’il devait être heureux en voyant le Coréen se tenir la tête avec une expression de souffrance absolue.
Il sentit une main se poser sur une épaule et se retint juste à temps de donner un coup de coude à son agresseur. Adam le regarda sans broncher, peut-être même pas conscient du réflexe contrôlé par Maldwyn. Bizarrement, la prise sur son épaule était ferme et l’Américain se laissa entraîner en arrière sans rien dire, légèrement pris de court par ce comportement inhabituel chez Adam. Il faut dire qu’il avait été si peu souvent en mission avec l’informaticien qu’il n’avait aucune idée de son comportement sur le terrain. Tout ce qu’il se faisait comme idée de lui était basé sur les rares visites qu’il avait faites dans son bureau.
Quand ils furent assez éloignés pour ne pas se prendre un coup perdu, Maldwyn lança à Adam un regard intrigué. Mais son attention fut vite de nouveau attirée par la scène devant eux. Hyun s’était rapproché de Tristent et avait réussi à poser ses mains sur ses épaules mais la douleur qu’il ressentait semblait si forte qu’il ne pouvait rien faire d’autre que se servir d’elle comme appui pour rester difficilement debout.
Tristent ne semblait absolument pas gênée de cette proximité. L’expression de son visage était plus concentrée que jamais, Maldwyn ne l’avait vu ainsi qu’en de rares occasions. Soudain, ses paroles stoppèrent et elle se contenta de le regarder droit dans les yeux.
« Donne-moi ton nom. »
« Va chier, salope ! »
La jeune fille ne parut absolument pas en être vexée et continua à le fixer, immobile.
« Donne-moi ton nom, s’il te plaît. »
« Fous-moi la paix !!! »
Hyun sembla vouloir s’éloigner d’elle mais il ne put se détacher d’elle, ses mains étaient comme collées aux épaules de son exorciste.
Maldwyn se souvint alors de ce qu’il s’était passé peu avant et se mit à crier.
« Sayori ! Il s’appelle Sayori ! »
Sa petite sœur d’adoption eut un grand sourire mais ne quitta pas Hyun des yeux.
« Donne-moi ton nom de famille maintenant, Sayori. »
La force contenue dans le prénom plia le corps du Coréen en deux. C’est haletant qu’il se redressa, la haine dans son regard était au maximum.
« Tu ne le sauras jamais, pouffiasse ! Ce corps est à moi maintenant ! Jamais tu ne pourras me sortir d’ici ! »
« TA GUEULE !!! »
Le silence retomba après cet éclat de voix. Hyun avait parlé. Le visage de Maldwyn se fendit d’un sourire rayonnant, Hyun était toujours là et continuait le combat de l’intérieur. Il aurait dû s’en douter vu l’opiniâtreté de son partenaire mais il n’avait pu s’empêcher de craindre le pire. Mais l’espoir refleurit en lui comme jamais. Hyun était là et Tristent utilisait ses pouvoirs au maximum, ils allaient virer cette saloperie d’esprit squatteur !
*****
Hyun s’était retrouvé dans les rues de sa ville natale, son école primaire en face de lui. Il regarda autour de lui sans trop comprendre mais se mit bien vite à râler. Ca devait encore être un sale coup de la part de l’enfoiré qui essayait d’avoir son corps.
Il parcourut les rues, refoulant la nostalgie qui essayait de s’emparer de lui. Il ne regrettait pas sa ville, il ne regrettait pas la Corée. Il n’avait plus rien à y faire. Les rues se brouillèrent autour de lui et un nouveau lieu apparut en face de lui. La ruelle, la fameuse ruelle où sa sœur avait vu la mort. Il fit demi-tour et reprit sa marche. Sa vision se brouilla à nouveau et la ruelle réapparut juste en face de lui.
Hyun n’était pas connu pour sa patience, voire même il était reconnu pour son impulsivité. Cette situation lui porta vite sur les nerfs et il donna un coup de poing dans le mur proche de lui. C’est alors qu’il se rendit compte qu’il ne portait pas les blessures qu’il s’était faites dans le monde ‘réel’. Ca ne l’avançait pas à grand-chose, vu qu’il ne sentait de toutes façons pas la douleur de son véritable corps en ce moment même, mais il savait d’avance qu’il allait dérouiller quand il reprendrait le contrôle.
Car il allait reprendre le contrôle, vraiment. Ce n’était même pas une hypothèse.
Il regarda droit devant lui et vit à nouveau la ruelle. Un sourire tordu naquit sur ses lèvres. Il n’était pas faible. Il ne supportait pas de se rappeler de tout ça mais il n’était pas faible.
Il s’avança, d’un pas ferme, jusqu’à arriver au coin de l’immeuble. La main était là. Ensanglantée.
Il n’y avait pas les rubans jaunes de police qu’il avait vus le soir terrible, il n’y avait personne d’autre dans la ruelle. Pas de policiers pour le retenir, pas d’ambulanciers pour s’occuper du corps, pas de badauds qu’il aurait eu envie de massacrer si on l’avait laissé faire.
Il s’avança lentement, jusqu’à ce qu’elle soit en vue et stoppa. Il la vit allongée au sol, aussi belle que morte. Il n’avait jamais vu l’état de son corps, il n’avait pu qu’imaginer les blessures qu’elle avait subites. Il n’était pas resté assez longtemps ensuite pour qu’on les lui décrive. Ce qu’il avait sous les yeux était loin du pire qu’il avait imaginé. Cela lui semblait si irréel. Car il avait vu le sang. Le fluide rouge qui s’était mêlé à l’eau du caniveau et qui avait coulé jusqu’à lui. Ces blessures ne pouvaient pas avoir été celles de sa sœur. Elles n’étaient pas bénignes mais il savait que ce n’était pas ça. Que ça ne pouvait pas être ça.
Il se demanda donc d’où ces blessures venaient. Et il ne trouva qu’une réponse. Si ça ne venait pas de ses souvenirs, ça ne pouvait venir que d’une autre source. Le squatteur.
Toutes ces conneries de trucs mentaux commençaient à le lourder mais il tenait enfin une piste contre l’autre. Il ferma les yeux et se concentra. Il savait très bien qu’il n’avait pas de pouvoirs mentaux comme les autres ‘monstres’ de leur équipe mais bon, il pouvait toujours essayer. La volonté ne payait pas toujours mais très souvent.
Il visualisa les blessures, juste les blessures, il fit de son mieux pour ne pas penser à sa sœur, pour laisser Miyong intacte dans son cœur, loin de ses coupures affreuses, parfaite comme elle l’a toujours été.
Les plaies semblèrent un instant flotter devant lui, presque luminescentes dans les noirceurs de son esprit. Et une image se superposa lentement à elle. D’abord très floue puis de plus en plus précise. Une salle, un salon… Un canapé rouge, trop rouge. Et un corps sur celui-ci.
Le décor autour de lui était entièrement transformé quand il rouvrit les yeux. Hyun reconnut la pièce où il se trouvait, il ne l’avait que peu visité mais il se souvenait y avoir détruit un vase. C’était la maison d’où provenait l’âme qui le hantait.
Il tomba subitement à genoux et ne put plus bouger. La tête baissée, il ne put rien voir d’autre que ses mains qu’il ne reconnut pas. Plus petites mais plus charnues, elles semblaient plus jeunes que les siennes. Il releva enfin le visage et son regard tomba à nouveau sur le corps de la femme allongée sur le canapé. Il sentit alors les larmes couler de ses yeux et renifla bruyamment avant de se relever. Il se détourna du corps, sachant qu’il ne pouvait rien y faire, et s’avança vers le salon. Il ferma à nouveau les yeux comme pour renier ce qu’il venait d’y voir et fit de nouveaux pas branlants vers l’escalier. Les mains tendues devant lui pour pouvoir se guider sans ouvrir les yeux, il se concentrait pour oublier qu’il venait de voir les corps de ses sœurs découpés sur la table de la salle à manger.
Il savait qu’il aurait du regarder, par respect pour les femmes de sa famille, mais il ne pouvait pas, il sentait déjà son petit déjeuner non loin de ses lèvres, prêt à sortir dès qu’il verrait à nouveau le sang qui maculaient les murs. Il entrouvrit les paupières et continua son chemin. Il aurait pu décrocher le téléphone et appeler la police, les secours, n’importe quoi qui aurait pu le sortir de cet enfer mais il ne pouvait s’y résoudre. Pas tout de suite. Il devait d’abord savoir ce qu’il en était de Lui. Du Chef de famille, de son Père. De l’être qu’il détestait le plus. Il arriva à la cage d’escalier et les monta lentement, bénissant le jour où son père avait fait installer de la moquette sur ceux-ci, empêchant les grincements sinistres qu’ils faisaient auparavant à chaque pas.
Il s’arrêta une fois en haut. Il pouvait entendre du bruit. Et vu la violence des coups qu’il pouvait entendre, l’être qui les produisait était en vie. Il hésita. Soit le meurtrier de sa famille était en train de tuer son père, soit le meurtrier était son père… Et connaissant son géniteur, il ne pouvait parier sur laquelle des solutions était la plus plausible… Bizarrement, le son venait de sa chambre, ceci le troubla légèrement. Il ne comprenait pas ce que qui que ce soit pouvait y faire à part lui-même.
A pas de loups, il alla jusqu’à sa porte et se pencha pour observer ce qu’il s’y passait. Il savait que la curiosité pouvait se révéler mortelle, surtout quand il y avait déjà trois cadavres dans la maison mais c’était plus fort que lui, il devait savoir. Surtout que la colère montait doucement mais sûrement en lui à l’idée de savoir son sanctuaire bafoué par la présence maléfique de celui qui s’y trouvait actuellement.
Il s’attendait à ne pas voir quelque chose de joli-joli mais ce qu’il aperçut aviva encore plus sa colère. Son père était ici, couvert de sang mais semblant indemne. Armé d’une hache, il attaquait violemment les meubles soigneusement peints en noirs, les réduisant facilement à du bois de chauffage.
« C’est de sa faute ! Uniquement de sa faute ! C’est à cause de lui que j’en suis arrivé là ! A cause de lui ! Ce fils du diable ! »
Derrière la porte entrouverte, son fils le regardait détruire sa chambre sans dire un mot, la colère coincée dans sa gorge le rendant muet. Il n’hésita plus un instant et se mit à courir vers la chambre de ses parents, la moquette épaisse étouffant le bruit de ses pas précipités – le père étant de toutes façons si occupé qu’il ne les entendrait pas.
Une fois dans la pièce, il ouvrit en grand une armoire et admira une seconde le râtelier contenant les fusils de son père. Un manquait à l’appel mais cela ne l’inquiétait pas – son père ne pouvait pas utiliser une hache et un fusil en même temps, il avait beau être fort, il restait un être humain. Il prit celui à côté du vide, son préféré. Son père avait essayé de lui apprendre à chasser comme lui-même le faisait souvent mais il n’avait jamais été très doué. Il avait par contre bien retenu comment armer et utiliser l’arme. Et ce fut sans aucun problème qu’il y inséra les balles et prépara l’arme à l’utilisation.
Ce fut d’un pas décidé qu’il retourna à sa chambre et visa la porte. Il tira, explosant le panneau de bois dont certains morceaux vinrent se ficher dans ses jambes, rompant son équilibre déjà rendu précaire par le recul de l’arme. Le bas de son dos percuta la rambarde de l’escalier derrière lui mais cela ne l’empêcha pas de lever à nouveau son arme et de la recharger pour viser la silhouette qui s’était tournée vers lui. Les yeux de son père se posèrent sur lui, plus fou que jamais. Il s’était déjà souvent fait frapper mais là, il le savait : si son père levait la main sur lui, ce serait pour le tuer.
Il tira une seconde fois. Le corps de l’homme vola en arrière et atterrit lourdement sur le coffre qui lui servait d’armoire. Il allait se redresser quand une nouvelle balle le toucha en pleine tête.
Son fils avait fermé les yeux pour ne pas voir le résultat. Le fusil lui glissa des doigts et tomba silencieusement sur la moquette. Le garçon se tourna pour prendre appui sur la rambarde et sentit ses mains trembler sous le choc d’avoir tué son géniteur. Il rouvrit les yeux et vit le sol tourner autour de lui, il les referma aussitôt mais même ainsi, il se sentait toujours mal. Un mal de tête fulgurant le prit et des nausées l’assaillirent. Il entendit à peine la porte se faire forcer en bas et des voix d’hommes se rapprocher. Le sol tournait encore autour de lui-même sans qu’il le voie et soudain, il ne sentit plus rien à part le vide. Il tombait et tombait sans aucun sol pour l’arrêter.
Puis la douleur vint et le monde retrouva ses couleurs et ses sons, trop vives, trop forts. Un visage apparut dans son champ de vision mais bizarrement il n’entendit pas la voix de celui-ci alors que les lèvres bougèrent. Le visage disparut comme il était arrivé et il vit la salle à manger derrière.
Il n’était plus à l’étage… Il sentit un goût métallique dans le fond de sa gorge et du sang remonta lentement qu’il dut cracher pour ne pas s’étouffer. Il n’avait pourtant pas été blessé…
Il regarda à nouveau devant lui et distingua le sang qui gouttait encore de la table. Un nuage blanc semblait flotter au dessus. Etait-ce l’âme de ses sœurs ? Comment pouvait-il les voir…
Les sons perdirent de leur force et il put en distinguer quelques uns. « Blessé… Escaliers… peu de chance… »
Il réalisa alors qu’il devait être tombé depuis la rambarde et qu’il allait mourir comme ça…
Pitoyablement. Il en aurait pleuré s’il pouvait encore contrôler la plupart de son corps. Il préféra fermer les yeux avec ses dernières forces et attendit la mort. Elle ne tarda pas à arriver mais elle n’empêcha pas tous ses regrets de s’accumuler pour une dernière fois : la perte de contact avec sa mère et ses sœurs alors qu’ils vivaient dans la même maison, son manque de réaction face à la violence de son père, son repliement sur lui-même, son amour à sens-unique pour le docteur Yamanaka…
Ses pensées tourbillonnèrent en son esprit, se mêlant les unes aux autres, perdant leur consistance, créant un brouhaha indistinct…
« TA GUEULE !!! »
*****
Tristent sourit grandement à l’éclat de voix, reconnaissant enfin Hyun dans l’être en face d’elle.
Elle ne put malheureusement pas entamer la conversation avec lui, sous peine de rompre le sort qu’elle avait commencé. Et vu la quantité d’énergie pour le maintenir, elle ne tenait pas à devoir le refaire.
« S’il te plaît, donne-moi ton nom. »
Voilà tout ce qu’elle pouvait dire. Une autre phrase aurait détruit le sort, elle ne pouvait maintenant que demander le nom de l’esprit, seule information qui lui manquait pour finir l’exorcisme.
« Hyun ? Tu sais le nom du mec ? » Demanda Maldwyn derrière elle.
Le Coréen grogna et fit une grimace douloureuse mais ne put répondre.
« J’arrive plus à lui parler directement. On dirait qu’il s’est replié sur lui-même… » Marmonna-t-il.
Tristent ne pouvait se retourner mais elle sentit un mouvement derrière elle et entendit Maldwyn pousser un petit cri de surprise.
« Eh ? »
« Page 7, milieu de la page. »
La voix d’Adam fit sourire un peu plus la jeune fille qui était on ne peut plus heureuse d’enfin le voir en dehors de son bureau. Elle savait que le jeune homme était très peu souvent sur le terrain mais elle restait persuadée qu’il pouvait y être très efficace, comme en ce moment même où il avait certainement trouvé la solution à leur problème.
Elle entendit un bruissement de feuilles et Maldwyn s’exclama :
« AHAH ! Il s’appelle Sayori Endô !!! C’est écrit dans le livret de famille ! »
Le sourire de Tristent s’agrandit un peu plus, même si cela ne semblait pas humainement possible, et elle put reprendre ses prières. Cela lui fit mal d’entendre Hyun hurler et de le voir se plier en deux en face d’elle mais elle ne le lâcha pas des yeux, gardant le contact visuel sur celui qu’elle voulait sauver.
Elle vit un brouillard blanc l’entourer peu à peu mais cela ne l’inquiétait pas, elle n’avait jamais exorcisé quelqu’un elle-même mais elle avait parfois vu son père le faire… La fumée blanche était même un bon signe. L’esprit qui s’était emparé de Hyun n’était pas mauvais. Elle se souvenait bien d’une fois où l’âme que son père avait retirée était d’un rouge profond, imprégnée d’un mal abyssal. Elle avait été très difficile à maintenir en contrôle mais son père avait réussi. Son père était un puissant exorciste, jusqu’à ce qu’il décide d’arrêter tout et de se consacrer uniquement à sa famille et à Dieu.
Elle prononça le dernier mot et le nuage exsuda brusquement de Hyun jusqu’à ne plus laisser qu’une vague vapeur autour du corps du Coréen qui tomba au sol.
« Mald-nii ! Tu peux t’occuper de lui ! »
Le regard de l’Américain était plongé dans le nuage blanc qui restait informe dans l’atmosphère, mais la voix de Tristent le réveilla. Il se précipita vers son coéquipier et le déplaça avec attention loin du nuage.
Sachant que Hyun était entre de bonnes mains, elle pouvait maintenant se concentrer sur les restes de l’âme qu’elle avait retirée du corps de son ami. Elle murmura quelques mots qui rendirent sa forme à l’esprit. C’était un jeune homme, d’à peu près son âge, qui la regardait à présent avec des yeux fatigués.
« Bonjour Sayori ! » Lui fit-elle avec un sourire.
Il la regarda d’un air sombre et ne répondit rien.
« Je sais, il y avait des moyens plus agréables de se rencontrer mais, eh, ce n’est pas moi qui ait possédé quelqu’un contre son gré. »
« Je n’ai pas demandé non plus à le posséder… » Marmonna l’adolescent fantomatique.
« Ah bon ? Mais qu’est-ce que… »
Elle ne put continuer sa phrase que des sirènes retentirent tout autour d’eux.
« Merde, on va se faire chopper ! »
« Par là ! »
Maldwyn avait pris Hyun à nouveau inconscient dans ses bras et fit signe à Tristent de suivre Adam qui leur ouvrait la route. L’Américain courut vers la sortie mais Tristent resta quelques secondes en arrière et sourit au fantôme à ses côtés avant de lui tendre la main.
« Tu viens ? »
*****
Maldwyn ne put retenir le sourire qui lui vint quand Hyun se réveilla quelques heures après qu’il l’ait allongé sur le canapé de leur salon et que ses premiers mots furent un juron bien sonore. Il était enfin redevenu lui-même.
Il le regarda se redresser tout seul, sachant bien que le Coréen n’apprécierait pas qu’il essaye de l’aider – même s’il crevait d’envie de le faire, et eut même un petit rire quand Hyun lui lança un regard noir, comme pour le prévenir de ne vraiment rien essayer.
« J’ai préparé des brocolis, tu en veux ? »
« Laisse-moi vomir. »
Le sourire de l’Américain se fit un peu plus grand.
« Un thé à la pêche, ça te plairait plus ? »
Un grognement indistinct mais qu’il interpréta comme plutôt positif lui répondit et Maldwyn se dirigea vers la cuisine. Il stoppa sur le seuil de la porte quand il crut voir une silhouette assise à la place fétiche du Coréen.
Il cligna de l’œil et il ne vit plus rien. Il devait avoir rêvé. Il n’avait pas de pouvoirs spéciaux, il le savait bien.
Mais il ne put empêcher un frisson glacé de lui parcourir le dos. Avait-il aussi rêvé le rire qu’il avait entendu ?
FIN DU CHAPITRE 4